Alors que la finale de “Drag Race France” approche à grands pas, sa présentatrice, Nicky Doll, nous a parlé du futur de l’émission, de ses projets musicaux, et du rôle qu’une drag queen doit endosser dans le climat politique actuel.
À l’origine du succès retentissant de Drag Race France, sa présentatrice Nicky Doll s’émancipe de toutes parts. Du format de l’émission d’abord, dérivée dans une dizaine de pays – et encore plus de saisons –, qu’elle prend plaisir à modeler à sa guise à coups de french touch et de twists bien trouvés. Et du show tout court d’ailleurs, puisqu’elle s’est lancée dans la musique en 2022, avec son premier single, Attention.
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Depuis, elle est en chemin pour devenir un visage régulier de France Télévisions (avec son émission Les Voyages de Nicky notamment, et la récente coanimation de l’Eurovision ou de La Grande Soirée des cabarets) et prépare la sortie de son tout premier EP, un hommage à la pop qui l’a construite, prévu pour l’automne.
Mais par les temps qui courent, et alors que l’extrême droite a frôlé la majorité parlementaire lors des dernières législatives, la figure de la drag queen est menacée. De l’importance à garder le cap de ses luttes à son abnégation à tracer sa route, Nicky Doll continue d’entreprendre.
Et malgré son emploi du temps royal (elle enregistre la finale de Drag Race France au Grand Rex ce vendredi et vient tout juste de sortir le très référencé I Had a Dream), la reine de France nous a accordé un peu de son temps pour nous en dire plus sur le futur de l’émission et ses projets musicaux.
Est-ce qu’il y avait de l’appréhension à passer après une saison aussi plébiscitée internationalement que la deuxième de Drag Race France ?
Oui, totalement. Il y a une malédiction qui plane à la télé, celle de la troisième saison. Ça, la production s’en fiche, et elle avait la tête dans le guidon, j’imagine que j’étais la seule à l’avoir en tête. Je pense qu’on a levé cette malédiction en continuant de travailler avec notre cœur et en apportant des petits twists pour avoir quelque chose de frais. On a vraiment gardé notre éthique de travail, notre ADN, et de toute façon, les saisons dépendent énormément du casting. La troisième est très différente des deux premières, et je pense que les reines pourront te le dire aussi : c’est définitivement la plus difficile des trois. On n’a jamais vu, dans l’histoire de Drag Race, que les participantes doivent se transformer deux fois !
Effectivement, le twist du snatch game était du jamais-vu dans la franchise. Est-ce que c’est compliqué de trouver de nouvelles façons d’innover quand tout ou presque semble déjà avoir été fait dans les autres pays ?
Honnêtement, on se pose rarement la question de ce que les autres font. On écrit, on réfléchit à ce qui nous ferait plaisir et à ce qui plairait au public français, et ça sort tout seul. C’est quand l’émission est diffusée et qu’on lit les messages qu’on se rend compte que les gens ont apprécié, on réalise après les faits. Ce qui est bien avec la franchise française – et c’est aussi pour ça qu’elle est plébiscitée dans le monde –, c’est qu’elle est vraiment “à la française”, elle n’essaye pas de suivre un moule. Alors, évidemment, il y a le squelette de RuPaul’s Drag Race, mais on tient à prendre des libertés. Et le snatch game a été un grand moment, c’était assez incroyable. Même moi, je me demande si j’aurais pu faire deux personnages en l’espace d’une heure et demie !
La version française dénote des autres, notamment dans son ton très bienveillant, contrairement à l’américaine, où l’aspect télé-réalité et les disputes font parties intégrantes du show. C’était une direction voulue dès le départ, ou elle s’est imposée à vous naturellement ?
C’est vraiment culturel. Les Américaines vont être un peu plus cut-throat, alors qu’en France, on est plus humbles. Il y a cet esprit de sororité qui s’est installé naturellement. Et nous, en tant que producteurs et maîtresse de cérémonie, on a aussi peut-être une bienveillance particulière, c’est devenu l’ADN de l’émission tout seul. Mais encore une fois, ça dépend du casting, sur la saison 2, il y a eu beaucoup plus de clashs. C’est pas forcément la production qui mène les candidates comme des pantins, on est tout autant à la merci du casting.
Un All Stars français, voire un All Stars francophone, avec des queens belges et québécoises, c’est envisageable ?
Je ne peux pas rentrer dans les détails, mais oui, c’est quelque chose que j’aimerais beaucoup faire. Il y a plein de choses que vous découvrirez bientôt.
Et la saison 4 de Drag Race France alors, c’est signé ?
On ne sait pas encore, mais il y a de grandes chances évidemment !
Qu’en est-il des Voyages de Nicky ?
On a eu une première saison, qui s’est très bien passée. Il y a eu des conversations sur les prochaines destinations de la saison 2 qui se sont un peu éternisées, mais ça va revenir ! C’est compliqué avec mon emploi du temps musclé [rires] !
En marge de ton travail avec France Télévisions, tu viens de sortir ton nouveau single, I Had a Dream, qui sera bientôt suivi de ton premier EP, produit par Universal Music. Quelle direction as-tu souhaité prendre ?
Je voulais vraiment faire une ode à la pop music, avec différentes facettes du genre : pour Attention, j’ai fait de la pop un peu disco revival, pour Fashion Freaks, c’était davantage de la dark pop, mais pour I Had a Dream, je l’ai vraiment vu comme un mélange entre pop française et disco… Et le reste des titres prendra cette même direction !
Quelles sont tes influences principales ?
Je puise mon inspiration dans plein d’artistes différents, je pense que les gens seraient assez surpris de voir mes playlists : ça va de Moby à Rüfüs Du Sol, de Chappell Roan à certains albums de Gaga, de Kylie Minogue à d’autres icônes comme Cher, Sade, ou même du Coldplay. Je mélange un peu tous ces genres, et j’essaie de faire à chaque fois quelques petites références à certains sons [en témoigne le clin d’œil à Dalida dans I Had a Dream].
“Le drag et le lipsync, c’est très cool, mais quand tu chantes, t’as vraiment envie de pouvoir performer sur tes propres sons”
Tu as des envies de tournée ?
Oui, bien sûr, j’adorerais partir en tournée solo avec la direction artistique de mon EP et faire une vraie expérience live avec mes idées. Parce que le drag et le lipsync, c’est très cool, mais quand tu chantes, t’as vraiment envie de pouvoir performer sur tes propres sons.
En tant que drag queen dans le monde de la musique, tu sens que tu dois faire plus d’efforts pour prouver ta légitimité ?
Effectivement, les gens ont souvent du mal à prendre les drag queens au sérieux dans la musique. Parce qu’on sort une bitch track pour faire bien sur les réseaux, ou parce qu’on voit RuPaul sortir plein d’albums mais qui sont rattachés aux saisons du show… Mais il y a plein d’artistes comme moi, comme Courtney Act, The Vivienne, Adore Delano [d’anciennes candidates de RuPaul’s Drag Race US & UK], qui ont vraiment une passion pour la musique.
Plusieurs participantes de Drag Race France se sont aussi mises à la musique. Tu suis ce qu’elles font ?
Oui, bien sûr ! Ce qui est bien avec Drag Race France, c’est qu’il n’y a pas du tout de rivalité, et cette sororité continue même après l’émission. Piche a une carrière musicale, mais en plus de ça, elle fait du rap, donc c’est génial puisque ça n’a jamais été vraiment vu. Il y a La Grande Dame, qui a un projet hyper indé et intéressant, Paloma, qui a sorti deux sons… On se tient un peu toutes au courant de nos projets, et c’est super !
“Quand tu entends que le RN menace de privatiser le service public, c’est sûr qu’une émission queer va être ciblée en premier”
Avec les législatives, la perspective d’une majorité parlementaire d’extrême droite, et donc d’un service public mis à mal, a frôlé le pays. Est-ce que vous avez eu peur pour l’avenir de l’émission ?
Je crois que j’avais tellement peur de tout le reste que l’avenir de l’émission, c’est arrivé bien après. J’avais des craintes sur la sécurité des femmes trans – l’une d’entre elles a d’ailleurs été tuée à Paris cette semaine –, et sur plein d’autres choses. Mais oui, évidemment que quand tu entends que le RN menace de privatiser le service public, c’est sûr qu’une émission queer, faites par des queers mais pour tout le monde, et qui prône des messages de tolérance, va être ciblée en premier.
Pendant le week-end du second tour devait avoir lieu la première édition du festival This is Drag, lequel a finalement été annulé subitement…
Je ne peux pas vraiment en dire plus que ce que le communiqué de presse a indiqué, mais c’est bien sûr lié au fait que les élections avaient lieu, et on s’est dit que ce n’était peut-être pas le moment d’avoir un événement qui pourrait créer un risque que les gens n’aillent pas voter. Mais This is Drag aura forcément lieu plus tard, l’édition a juste été reportée, et tout va très bien. Encore mieux maintenant, depuis les élections [rires] !
N’y a-t-il pas une incompatibilité à être une drag queen, avec tout ce que ça implique comme revendications politiques à porter, et être une figure plus consensuelle de France Télévisions et du service public ? Les deux sont-ils conciliables ?
Je pense que ce serait stupide de devoir faire des concessions sur l’un ou l’autre, sous prétexte que le drag est politique. Bien sûr qu’il l’est, mais de différentes manières. Moi, avec l’influence que j’ai, mon drag va être politique sous un certain angle. Quand j’étais sur le terrain, j’étais politique sur les réseaux sociaux, etc. Maintenant, est-ce que je vais pouvoir être aussi présente sur les réseaux qu’une drag locale ? Non, mais j’arrive à débloquer des messages, des émissions, des concepts, qui vont permettre d’éduquer à plus grande échelle. Quand on devient une personne publique, il faut aussi accepter de ne pas pouvoir être aussi cinglant que ce qu’on était avant. Oui, c’est frustrant, mais j’ai choisi mes combats, et j’essaie de réfléchir de manière à ce que mon activisme soit plus intelligent et impactant. Il faut s’adapter, mais il n’y a pas à choisir l’un ou l’autre tant que je garde en tête les luttes que je mène et que j’adapte mes tactiques de combat en fonction de la personne que je deviens. Si j’étais restée sur le terrain, est-ce que j’aurais réussi à éduquer les gens sur la façon dont on voit les femmes trans en Inde ou au Mexique ? Non, sans le service public, c’était impossible. Il y a tellement de trucs qui pètent partout, entre la question de l’État palestinien, l’Ukraine et la Russie… Je ne peux pas passer mes journées à ne parler que de ça, mais je suis ravie qu’on se partage la tâche et que notre communauté se mobilise sur plein de sujets.
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