[Spécial sexe 2023] Les personnes qui parlent de masturbation anale sont rares et celles qui ne l’imaginent même pas sont encore plus nombreuses. Pour contrer l’ignorance et les statu quo, des initié·es en révèlent les joies.
Explorateur en contrée anale, Swann* n’en a pas cru son doigt : “Je sentais mes parois anales, et j’étais là : mais c’est quoi ? Waouh ! Ah, ma prostate, elle est comme ça ?”, rejoue l’homme de 25 ans homoflexible (c’est-à-dire majoritairement gay). Il y a deux ans, en colocation à l’étranger, Swann a profité d’occuper l’étage d’une maison pour partir à la découverte de son anus. En s’asseyant sur un plug lubrifié, puis en utilisant ses doigts. “Je ne savais plus trop où j’étais et, en même temps, j’avais l’impression pour la première fois de m’apporter de la douceur. Les décharges électriques étaient localisées, puis ça s’est diffusé. C’était trop chouette. Un peu flippant aussi, genre : je vais faire un malaise”, raconte-t-il en riant. Dans une session de plus d’une heure, il dit avoir apprécié le temps long et les caresses – “Même si on essaie et qu’on n’aime pas, ça transcende la vision de sa sexualité”, affirme-t-il.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Se réapproprier son corps
Pour Swann, la masturbation anale a aussi participé à la réappropriation de son corps après avoir subi des viols de la part de son ancien petit ami. Aujourd’hui, il s’épanouit en tant que “side” (personne qui ne pratique pas le sexe anal et ne se définit donc pas comme “top” ou “bottom”), ayant choisi d’avoir des rapports sans pénétration. “Quand j’étais avec lui, j’essayais de me masturber pour m’entraîner, et c’était horrible. Je m’infligeais des violences à moi-même, glisse-t-il. La masturbation anale m’a appris à refuser la pénétration, à dire non. Mon corps, j’en fais ce que je veux.”
Xavier* veut s’approprier son corps en en connaissant tous les recoins : “Je me suis rendu compte que j’avais un angle mort, une légère gêne. Et je ne veux pas qu’une chose extérieure, un point de vue moral fasse que je voie autre chose que mon corps, que je sois dépossédé de moi-même”, développe ce sportif de 29 ans. Hétérosexuel, il était curieux des jouissances féminines, se souvenant d’une BD adaptée de Pierre Bordage dans laquelle un homme changeait de corps avec une femme et rencontrait l’orgasme. “J’étais un peu jaloux de leurs orgasmes et du fait qu’elles puissent être stimulées à plusieurs endroits”, avoue Xavier.
“Le plaisir se répercute sur chaque muscle, tu sens ton corps à 200 %” Xavier, 21 ans
Il s’est penché sur la masturbation anale à l’âge de 21 ans, sans lubrifiant et avec un manche amovible de casserole qui se retrouva plus tard bloqué dans son rectum, dont les muscles s’étaient contractés. Ce genre d’incidents justifie la base large des plugs. Xavier a réussi à dénouer la situation sans aller aux urgences et considère que l’orgasme prostatique vaut ces affres d’apprenti. “Tout le corps entre instantanément dans un autre état. Je sens comme une ligne sur mon front. Tout est chaud, le plaisir se répercute sur chaque muscle, tu sens ton corps à 200 %”, s’emballe-t-il. Pour autant, il ne parle de sa trouvaille à aucun ami. Ayant vu son frère gay se faire insulter quand il était plus jeune, il a “appris à [se] taire. Comme ça, on ne m’embête pas”, justifie-t-il.
Le tabou de la pénétration
La discrétion, le désintérêt ou le rejet des hommes hétérosexuels à l’égard de leur anus reposent sur une peur intrinsèquement liée à l’homophobie, selon Matthieu Foucher/Camille Desombre, coauteur du recueil Pédés (Points/“Points féministe”, 2023). “Le corps hétérosexuel masculin se perçoit comme strictement pénétrant. Il a une incapacité psychologique, théorique, corporelle à s’imaginer pénétré, même par soi-même. Les hommes ne peuvent pas en parler, même s’ils le pratiquent. Pour eux, se faire pénétrer, c’est devenir l’enculé. Être l’enculé, c’est être le pédé, faire l’expérience d’un déclassement et sortir de la classe des hommes”, développe-t-il.
L’auteur-réalisateur gay souligne que le tabou de la pénétration anale touche davantage les hommes que les femmes, et ce n’est pas un hasard : “Il y a un stigmate autour de la sodomie qui persiste, qui stigmatise les gays, car les gays dans l’imaginaire collectif sont associés à la sodomie, puisqu’ils la pratiquent – ce n’est pas un tabou. Si on regarde le porno, les hommes hétérosexuels semblent pourtant aimer regarder des femmes se faire sodomiser. Mais comme dans leur imaginaire c’est perçu comme dégradant et qu’une partie de leurs fantasmes semble souvent d’humilier sexuellement les femmes, il y a peut-être un lien… En tout cas, ça peut être pour eux un désir uniquement dans ce sens-là.”
Alors, selon Matthieu Foucher, les hommes hétérosexuels ignorent leur anus ou cachent ce qu’ils font avec pour continuer de jouir d’autres privilèges : “Les hommes hétéros font le sacrifice du plaisir anal pour préserver leur domination. Refuser d’être pénétrés, même s’ils peuvent en avoir secrètement envie, est une des conditions de leur pouvoir sur les femmes, les minorités de genre et les gays. Ils perpétuent ainsi la fiction de la binarité pénétrant/pénétré, homme/femme. Et cette fiction de la différence des sexes, soit le régime de l’hétérosexualité, est essentielle à leur domination”, résume l’auteur.
Pour lui, il est nécessaire de “réhabiliter l’anus” comme organe sexuel, mais pas seulement. Il cite le philosophe Paul B. Preciado, qui le définit comme notre “dénominateur commun à tous”, ou encore les militants du Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar) des années 1970 qui faisaient de l’anus un héros politique en scandant “Notre trou du cul est révolutionnaire”.
Un orgasme comme un autre
“Si l’on considérait que tu peux avoir un orgasme prostatique comme un orgasme éjaculatoire, il n’y aurait pas toutes ces pressions autour de la pénétration masculine en tant qu’actif, et il n’y aurait pas toute cette pression à ne pas se faire pénétrer. Puisque ce serait un orgasme ou un plaisir comme les autres. Et il y en a sûrement plein d’autres à découvrir”, imagine Martin Py. Nos voisins de table glissent oreilles et œillades.
À ses côtés, Zoé Redondo relève ses lunettes de soleil sur sa tête. Martin Py réajuste sa casquette brodée de flammes. Les deux auteur·rices de la BD L’Homme pénétré – Repenser notre intimité (La Boîte à Bulles, 2023) ont développé leur album à partir d’une idée de Martin. “Un jour, un ami hétéro s’est confié à moi sur le fait qu’il se masturbait analement, pensant que parce que j’étais gay, je savais de quoi il parlait. Mais non ! J’ai trouvé ça fou et j’ai eu un déclic : on assimile des pratiques à des orientations sexuelles, alors que rien n’est rattaché”, raconte l’auteur.
Trouvant très peu d’informations sur la masturbation anale, il décide d’élargir le sujet de l’album. Pour Zoé Redondo, ce manque d’informations favorise les violences : “Quand il y a des sujets très méconnus, ça engendre des propos et des gestes très extrêmes. Comme pour le consentement.” Par exemple, la croyance comme quoi il serait normal d’avoir mal au début d’une pénétration anale : “Se masturber analement fait savoir que non. Ce n’est pas vrai, c’est un mythe. Si tu as vraiment envie, tu n’as pas mal”, insiste Martin.
“C’est un tsunami. Pendant une ou deux minutes, je n’étais plus là. Et ce n’était pas angoissant, c’était très heureux” Marthe*, femme bisexuelle de 27 ans
Depuis qu’elle pratique la masturbation anale, Marthe*, une femme bisexuelle de 27 ans, n’a plus honte “de demander d’aller plus fort ou de dire ‘arrête’. J’aime ce que j’aime et je ne me juge plus”. Environ une fois par mois, elle utilise un plug ou un rabbit chauffant et vibrant pour stimuler son anus. Elle goûte son premier orgasme combinant plaisirs clitoridiens et anaux lors du confinement, son copain au bout du téléphone. “Je voulais m’entraîner toute seule pour essayer la sodomie avec lui. Je me sentais désirée et me désirais moi-même. J’avais un toy à aspiration sur mon clitoris et j’ai mis le plug très doucement. J’ai joui directement”, recontextualise-t-elle.
Cet orgasme la marque : “Tu vois cette vague de l’orgasme ? Là, c’est un tsunami. Pendant une ou deux minutes, je n’étais plus là. Et ce n’était pas angoissant, c’était très heureux”, se souvient Marthe, les yeux pétillants.
Le couple lesbien composé de Lou Dvina et Léontin Lacombe anime le compte Instagram Les Sapphos et sonde régulièrement ses 50 000 abonné·es. “Les lesbiennes sont parfois frileuses concernant les pratiques pénétratives, car on a la chance de pouvoir s’en passer sans blesser l’ego de notre partenaire”, analyse Lou, genderfluid âgé·e de 25 ans. Léontin, non-binaire du même âge, soulève que le plaisir anal peut se passer de pénétration : “Il n’y a pas qu’une seule manière de se masturber analement. Toucher en cadence, ça peut s’arrêter là.” Par exemple, lorsqu’elle se masturbe le clitoris, une fois sur dix environ elle ajoute de son autre main des pressions autour et sur son anus – “Comme un bonus à la fin. Ça fait venir l’orgasme plus vite”, précise Léontin.
Lou, elle, utilise un gode analement quelques fois par an et a observé que cela étendait le plateau de plaisir avant l’orgasme. Elle délivre quelques conseils : “L’anus n’étant pas lubrifié, c’est bien d’utiliser un lubrifiant à base d’eau. Il se dilate progressivement, donc vous pouvez commencer littéralement par le petit doigt, dit-elle en dressant son auriculaire. Et c’est plus une poussée dans le même sens. Les allers-retours peuvent être désagréables.” Pour elle, s’autoriser à faire des explorations dont on a envie, seule, complète l’expérience de se faire l’amour à soi-même.
Extension du domaine du plaisir
Ce fut dans la parfaite détente d’une douche post-pétard que Robin, alors âgé de 17 ans, se masturbait le pénis quand il eut soudainement envie d’explorer d’un doigt son anus. “Je savais que certaines femmes pouvaient aimer la pénétration anale, mais que côté hommes, ça pouvait être signe d’homosexualité et être mal connoté. J’ai voulu comprendre un peu plus et assouvir ma curiosité, se souvient-il. C’était étrange car j’avais l’impression d’être sur le point d’éjaculer et d’orgasmer mais, en même temps, je sentais que ça n’allait pas être le cas et je sentais aussi mon érection plus forte.”
Aujourd’hui, cet homme hétéro de 27 ans continue à ajouter une pénétration anale à ses séances de masturbation environ une fois par mois, et à de rares occasions lors de rapports avec sa copine. “Avec une fellation, c’est paradisiaque”, selon Robin, qui n’en parle cependant pas à ses amis, tout en déplorant le manque de témoignages et de vidéos pornos hétéros à ce sujet.
La masturbation anale a mené Yann, un homme de 26 ans n’ayant eu que des expériences hétérosexuelles, à exprimer son envie d’être pénétré à ses partenaires. “J’ai eu de la chance, elles ont été à l’écoute, dit-il avec soulagement. J’avais acheté le masseur prostatique Aneros Helix fin 2019, après avoir écouté l’épisode des ‘Couilles sur la table’ [podcast de Victoire Tuaillon] sur les orgasmes masculins. J’entamais une relation à distance, alors j’en ai profité. Mais je ne l’ai utilisé qu’une dizaine de fois, car, par la suite, je n’ai plus eu le temps et l’habitat nécessaires pour être dans les bonnes conditions.”
“Je me sens maintenant décomplexé vis-à-vis de l’hétéronormativité” Yann, hétéro de 26 ans
Avec l’Aneros Helix, il observe de plus grandes contractions au niveau du périnée et une meilleure conscience de son corps, mais n’a “jamais eu la déter ou la patience” de s’entraîner pour atteindre l’orgasme prostatique. Avant cet achat, il avait exploré une première fois son anus à l’adolescence, entre 15 et 18 ans : “C’était dans le bain, pendant que je me masturbais le pénis. J’ai pris du soin pour les cheveux et me suis mis un doigt, parce que j’en ai eu envie. Ça serre fort, c’est musclé, ça m’a plus excité, c’était plus total et ça rompait avec l’habitude. Je me masturbe le pénis depuis le primaire. Mais tout du long je me suis demandé si j’étais gay. Je n’étais pas en panique, mais j’avais plus l’impression de ne pas trop savoir, de ne pas comprendre ce que voulaient dire ces pulsions.”
Aujourd’hui, la masturbation anale lui a permis de se mettre à la place de ses partenaires pénétrées et d’être plus attentif. “Je me suis mieux rendu compte qu’avec un mauvais mouvement cela pouvait faire mal, par exemple. Avant, c’était assez flou. Je me sens aussi maintenant décomplexé vis-à-vis de l’hétéronormativité. Parfois, j’avais l’impression que je devais avoir l’air plus viril ou faire des choses qui semblaient plus viriles. Là, moins.”
* Ces prénoms ont été modifiés.
{"type":"Banniere-Basse"}