Révélé par le studio X Citébeur au milieu des années 2000, invité de luxe chez Bilal Hassani cette année et performeur sur les planches dans “Fantasma Circus Erotica”, l’acteur vient également de publier son premier album. Entretien avec un habitué du numéro sexe des “Inrocks”.
Si, dans un accès maniaque qui nous ressemble, on se mettait à dresser le podium des personnalités qui ont le plus souvent figuré dans les numéros Sexe des Inrocks depuis leur création, nul doute que François Sagat se placerait sur les plus hautes marches. L’histoire de la French pornstar gay est en effet tramée à celle de ces numéros estivaux.
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La première occurrence de François Sagat dans notre Spécial Sexe date de 2005, pour une enquête d’Olivier Nicklaus sur la “Beurxploitation” opérée par le porno gay français de l’époque, et plus particulièrement par un label, Citébeur, fraîchement apparu et déjà en pleine expansion. À cette occasion, notre journaliste rencontrait Azzedine, modèle de Citébeur au physique impressionnant, marqué par un signe distinctif mémorable : un tatouage reproduisant une implantation capillaire sur son crâne rasé. L’enquête révélait, sans dévoiler son véritable nom, que le jeune homme, comme d’autres modèles de Citébeur, n’était pas d’origine maghrébine et qu’Azzedine était un pseudo tirant parti d’une fantasmatique propre à faire cogiter les postcolonial studies.
Dans le numéro Sexe suivant, à l’été 2006, le jeune homme musclé s’invitait à nouveau, ici en tant que François Sagat, commentant à la fois l’usurpation d’identité de ses débuts et la façon dont un studio américain, Raging Stallion, l’avait débauché. C’était le début d’une Sagatmania qui vit François devenir, dans la seconde moitié des années 2000, un des acteurs de X gay les plus célèbres et les plus demandés, honoré du GayVN Award du meilleur acteur en 2007.
L’impressionnant modelé de sa musculature, l’habile mise en scène de lui-même par un ensemble de tatouages frappants et un alliage troublant de puissance et de vulnérabilité à fleur de peau en font rapidement une icône propre à séduire des univers extérieurs au porno. Sa présence dans deux films d’auteur en compétition au très cinéphile festival de Locarno en 2010, Homme au bain de Christophe Honoré et L.A. Zombie de Bruce LaBruce, constitue le sommet de cette première phase ascendante de sa carrière et lui vaut cette fois la couve du numéro Sexe des Inrocks – aux côtés de Louise Bourgoin.
Dans la décennie qui suit, l’acteur se fait plus rare, sa présence médiatique s’estompe. Mais l’année 2023 le ramène au premier plan de l’actu. D’abord sur scène, avec un spectacle qui a obtenu un vif succès au Théâtre des Variétés le printemps dernier, Fantasma Circus Erotica de Manon Savary et Marc Zaffuto. Puis un clip de Bilal Hassani, pour le single Marathon, réalisé par le jeune prodige de l’esthétique queer contemporaine Alexis Langlois. L’occasion de retrouver François et de lui demander de nous retracer ses pérégrinations depuis notre dernière rencontre.
“Quand on s’est vus, en juin 2010, pour la couve des Inrocks, j’étais en train de prendre la décision d’arrêter le porno. Avec les films de Bruce LaBruce et Christophe Honoré, quelque chose s’ouvrait en dehors du X et je pensais que d’autres propositions allaient affluer. Rien ne s’est passé. Mais vraiment rien. Ou des petites choses, des courts métrages, très peu payés. La désillusion a été cruelle. J’ai vite renoncé. J’ai fait quelques trucs dans la mode vite fait : un shooting avec Terry Richardson, des défilés de Bernhard Willhelm. Mais j’ai quand même arrêté le porno. J’ai alors eu de gros problèmes d’argent.”
Retour vers le porno
Un rebond se produit néanmoins en 2013, lorsqu’il fonde sa marque de dessous masculins, Kick Sagat, qui lui permet de bénéficier quelque temps de revenus réguliers. “On a trouvé des investisseurs, c’est moi qui faisais les dessins techniques, suivais la production, discutais avec un distributeur en Chine… Je n’étais pas riche mais je vivais correctement. Et j’étais assez heureux d’avoir un travail, de savoir pourquoi je me levais le matin.” Au bout de trois ans d’activité, la marque dépose le bilan et plonge à nouveau François dans le désarroi. “Je me suis retrouvé à Pôle Emploi. J’avais un peu de mal à expliquer mon parcours professionnel, je cachais mes années dans le porno et mon conseiller me disait : ‘Mais il y a un gros trou dans votre CV, non ?’” [rires].
En 2017, François décide de revenir au porno. “Le milieu était transformé, le niveau des rétributions avait baissé, il y avait moins d’argent, plus de comédiens sur le marché. Mais, bien qu’approchant de la quarantaine, je n’ai pas eu de difficulté à retravailler et j’ai à nouveau correctement gagné ma vie. Quand j’étais jeune, j’ai beaucoup fait des rôles de ‘bottom’. Ça me paraissait plus facile, parce que j’avais très peur de ne pas bander. Même avec du Viagra, quand tu es timide, pas à l’aise, c’est super-dur. Aujourd’hui, c’est assez équilibré, on me propose les deux, mais je préfère être ‘top’. Bottom, c’est plus de taf. Il faut prendre de l’Imodium [un antidiarrhéique], être super-clean. Et puis ça fait mal en fait. Même dans ma vie, et alors que je n’ai plus beaucoup de rapports sexuels, je suis plus à l’aise en top aujourd’hui.”
“Quand les gens me rencontrent pour un plan, ils s’attendent à une machine, une bête. Et je vois bien qu’ils sont déçus que je sois plus délicat qu’ils ne le fantasmaient”
On l’interroge sur cette abstinence hors plateau. “Je ne suis sur aucune appli de rencontres. J’ai quitté Paris pour la province. Je suis assez seul. Mais ça me va. J’ai beaucoup baisé dans ma vie, même en dehors du taf. Et puis quand les gens me rencontrent pour un plan, ils s’attendent à une machine, une bête. Et je vois bien qu’ils sont déçus que je sois plus délicat qu’ils ne le fantasmaient. Ça atténue leur désir. De toute façon, je me méfie de plus en plus de l’entente chimique entre deux corps, ce mirage qui fait qu’on tombe amoureux, qu’ensuite invariablement on souffre ou on fait souffrir… Je suis content qu’avec l’âge mes hormones soient un peu plus calmes.”
Backlash et homophobie
Le succès de Fantasma Circus Erotica, dans lequel il incarne une sorte de Minotaure satanique et exhibe un corps toujours aussi sculpté, lui a permis d’avoir une vie très structurée depuis un an, et le spectacle reprend à la rentrée. Le clip de Bilal Hassani, qu’il était très heureux de tourner – “J’adore Alexis Langlois, sa personne, son travail” – a été plus douloureux. “J’aime beaucoup le clip, ça a été très doux et agréable à faire, mais on s’est pris un sacré backlash. J’ai dû me mettre en privé sur Twitter à cause du déversement de haine et d’insultes homophobes. La popularité de Bilal nous a exposés auprès de gens ultra-réacs. Et puis il y a eu l’interdiction du concert de Bilal dans une ancienne église de Metz. Je pense que mon image, mon activité de travailleur sexuel, associées à Bilal, ont rendu certaines personnes dingues. De toute façon, l’homophobie ne recule pas vraiment en France. J’en ai beaucoup souffert enfant, au collège. Moins à mon arrivée à Paris. Mais dès qu’on sort un peu de sa bulle, on voit qu’on vit dans un pays très conservateur. Je trouve en tout cas que Bilal a un courage fou.”
Le jour où on le rencontre, François est à Paris pour un shooting. Il est modèle pour un sujet sur le bronzage en été dans un magazine. Son corps sera maquillé comme s’il était toasté par le soleil. “Je n’ai pas d’agent. Quand on veut me faire travailler comme modèle, on s’adresse à moi sur Insta.” Il y a quinze jours, il tournait une scène porno aux États-Unis, “très réussie, très bien filmée, sur un immense terrain de basket vide”.
Premier album
Ces derniers mois, il s’est aussi beaucoup consacré à la musique. Il y a quelques années déjà, on l’avait vu chanter en live dans une soirée, au club parisien Salò, organisée par Asia Argento. Avec le DJ Tommy Marcus, il a enregistré un album intitulé Vidéoclub, qui sort le 7 juillet et dont il a écrit tous les textes. “Ça parle d’amour et de sexe. Surtout de sexe. Avec un son electro cosmique, entre Jarre et Vangelis, mais combiné avec des influences house 90’s.”
Une année studieuse pour François Sagat, entre spectacle vivant, clip, album et, bientôt sans doute, une scène pour interpréter ses chansons. Et bien sûr beaucoup d’entraînement en salle. “En ce moment, mon corps est un peu plus sec, j’ai perdu en volume car j’ai arrêté les stéroïdes. Mais je me préfère plus épais.” Que fait-il du temps qu’il lui reste ? Il regarde des films hollywoodiens classiques : “Presque tous les jours, je regarde de vieux films. Essentiellement pour des actrices. J’enchaîne les films avec Joan Crawford, Bette Davis… Ces actrices m’hypnotisent. Je suis fan de Mae West aussi. Et Lauren Bacall. Je regarde leurs films, mais aussi leurs interviews d’époque, des documentaires sur elles.” Des femmes fortes donc, dominatrices, en lutte avec tout ce qui contrarie le déploiement de leur volonté.
On lui demande alors s’il est touché également par des figures féminines plus vulnérables. On cite Marilyn Monroe. Il fond : “Évidemment. Le contraire me paraîtrait impossible. On ne peut pas ne pas aimer Marilyn Monroe. Son aura, son pouvoir de fascination, sa lumière intérieure ne s’estompent absolument pas avec le temps. Elle est la déesse immortelle du cinéma.”
Vidéoclub (Resolution Records/Believe). Sortie le 7 juillet.
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