[Spécial sexe 2023] Travailler dans l’industrie du X use les corps. Des acteurs et actrices se confient sur la dimension ultra-physique de leur métier et nous racontent comment concilier ce miroir impitoyable avec le temps qui passe.
“Je le sens maintenant. Je me suis un peu éclaté les genoux, j’ai une hanche qui a tendance à déconner. Se faire prendre tout le temps dans des positions et des torsions qui sont loin d’être naturelles, subir les impacts des coups de reins de ces messieurs, ça a forcément eu des conséquences sur mon corps”, confie Lou Charmelle, 39 ans, grande figure de la pornographie française qui a explosé internationalement à la fin des années 2000.
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Il existe une multitude de manières d’habiter son corps, et celle des pornstars a ceci de particulier que leur chair et leur intimité sont sans cesse fantasmées, exposées, soumises à un rythme d’activité hors norme. Comme si une année de vie dans le porno comptait double. “Des cinq ans où j’ai énormément tourné, j’ai effectivement l’impression d’en avoir vécu dix. Tout était très condensé, intense. J’étais prise dans un tourbillon, un éternel présent. Je passais mon temps entre l’Espagne, l’Angleterre, Prague, la Hongrie, les États-Unis… Il y a une vraie fatigue qui s’installe, entre les heures de travail et les décalages horaires. Tous les matins, quand je me réveillais, j’avais quelques secondes de flottement où je ne savais pas où j’étais”, dit-elle encore d’une voix hypnotique.
La répétition excessive des scènes dans le porno mainstream a des répercussions évidentes sur l’organisme, mais aussi sur la psyché. Lou Charmelle poursuit son analyse : “Je pense que la mémoire fonctionne avec l’émotion, c’est grâce à l’émotion que l’on retient les choses. Et quand on enchaîne les performances à une fréquence soutenue, tout se compile. Il y a une partie de cette période que j’ai totalement oubliée.” Pourrait-on alors parler d’une amnésie propre aux pornstars ?
“Je me suis pris une claque à partir de 35 ans, quand j’ai commencé à prendre du poids sans changer mes habitudes.” Rico Simmons, 46 ans
Cette profession doit être la seule au monde où tous les plis et recoins du corps sont capturés et immortalisés en vidéo. En cela, les shootings sont autant de jalons qui forment une chronologie précise du temps qui passe. D’où une conscience accrue chez les hardeur·ses de leurs transformations physiques. “Oui, c’est dur. J’ai un bon métabolisme et mon poids est toujours resté stable, mais il y a les rides, raconte Lou Charmelle. J’ai perdu mon baby face, et c’est normal, je vais avoir 40 ans. Après, d’être toujours confrontée à mon moi d’il y a quinze ans versus mon moi de maintenant, c’est difficile.”
Pour Rico Simmons, 46 ans, inlassable marathonien du X à la française (il a été crédité dans presque 600 scènes) et qui a joué pour une multitude de réalisateur·rices (John B. Root, Hervé Bodilis, Ludovic Dekan, Ovidie, Anoushka…), le constat est brutal : “Je vais être transparent : vieillir, c’était une appréhension pour moi. Je me suis pris une claque à partir de 35 ans, quand j’ai commencé à prendre du poids sans changer mes habitudes. Il a fallu que je fasse un effort gigantesque pour retrouver un corps athlétique – c’est très difficile de le garder. Si tu n’es pas parfait, tu te fais jeter. Mais c’est encore plus impitoyable pour les femmes.”
Chirurgie et injections
Yanick Shaft (ex-Ian Scott), 50 ans et dinosaure du milieu – qui a derrière lui vingt-neuf ans de bons et loyaux services devant la caméra –, envisage le vieillissement avec plus d’optimisme : “C’est vrai que, passé la cinquantaine, j’ai senti le poids de l’âge. Mais je suis loin d’être fini. J’ai une bonne endurance, j’ai fait du sport à haut niveau, du triathlon, de l’Ironman, j’ai toujours eu une excellente condition physique. Et comme pour moi le porno se rapproche du sport, cela explique ma longévité.”
Le darwinisme social tourne à plein régime dans la fabuleuse industrie du porn
Lou Charmelle préfère ne pas recourir à la chirurgie esthétique, estimant qu’il ne faut pas rejeter le naturel et l’inéluctable. Nikita Bellucci, 33 ans et rebelle du porno hexagonal, voit les choses différemment : “J’ai un corps de maman et j’en suis fière. Si certaines actrices comblent un manque en s’injectant du silicone, ça ne me pose pas de problème. J’ai même demandé à Anissa Kate [actrice et réalisatrice de 36 ans] de me filer le nom de son chirurgien, parce qu’elle a des seins qui sont très bien refaits. Vu que j’ai allaité, je veux garder ma grosse poitrine, mais, cette fois, avec du plastique. Si c’est fait avec modération, je trouve ça très joli et je pense que j’y passerai aussi. Si je le fais, c’est pour moi, pas pour le porno. Ce n’est pas le porno qui va me dicter comment je dois être.”
Avec Rico Simmons, j’aborde les possibles troubles de l’érection. Réponse : “Les injections dans le sexe pour bander, ça s’est standardisé. Certains réalisateurs te forcent même à le faire. J’ai des collègues, arrivés à un certain âge, qui ne peuvent plus bosser sans. Ça crée un phénomène d’accoutumance, tu es obligé d’augmenter les doses. C’est pour ça que je préfère travailler avec ma tête.” Vieillir, c’est en effet savoir durer. Ce n’est un secret pour personne, le darwinisme social tourne à plein régime dans la fabuleuse industrie du porn. Il y a dix ans déjà, l’une des études les plus complètes sur la pornographie, “Deep Inside: A Study of 10 000 Porn Stars and Their Careers” de Jon Millward (à lire sur jonmillward.com), montrait qu’une actrice débute en moyenne sa carrière à 22 ans, dont la durée n’excède pas en général les quatre ans.
Apprendre à se blinder
“C’est de la boucherie, tempête Nikita. Les filles sont traitées comme des Kleenex à cause de certains distributeurs dont je tairai le nom…” Sur la même ligne, Rico Simmons abonde : “Si tu es frais, que tu es starifié, tu vas briller. Et si tu déclines un peu, que tu ne plais plus à un producteur ou à un réalisateur, ils vont te virer. La majorité des productions sont impitoyables, très froides dans leur gestion des êtres humains.” Durer dans cette jungle signifie dans bien des cas savoir passer entre les balles, se fabriquer une carapace pour résister aux chocs. “Politiquement, il faut gérer les conflits avec les réalisateurs, les actrices. L’industrie a aussi changé avec des formats plus courts, tout en s’ubérisant : ce n’est plus le même métier. Il faut s’adapter, et c’est usant”, confesse encore Rico.
Au crépuscule de sa carrière, Lou, elle, s’est reconvertie comme sexothérapeute
Tous et toutes assurent que pour se maintenir dans le business, il faut bien choisir son entourage. Nikita y va cash : “Si tu n’as pas une vie carrée à côté, tu peux vite tomber dans plein de travers. Il ne faut pas traîner avec les gens qui prennent de la coke, sinon ça devient compliqué. Ce qui ne m’a pas fait péter un plomb à mes débuts, c’est que j’avais un appart à Dreux, loin de tout ça, avec un petit mec de gauche et des chats. Cette vie rangée m’a permis de garder les pieds sur terre.” Elle est aujourd’hui productrice et réalisatrice.
Au crépuscule de sa carrière, Lou, elle, s’est reconvertie comme sexothérapeute et, aujourd’hui, fait des études pour être sexologue. Yanick Shaft, de son côté, compte bien bosser dix ans de plus avant d’investir “dans un truc qui ne demande pas trop d’effort”. Et Rico, lui, s’est mis à l’informatique : “Comme ça, je n’ai plus le problème de savoir si je vais avoir du taf pour manger. Désormais, je sélectionne les projets. Je n’ai plus envie de forcer sur la nouille…”
Le boom des MILF
Mais vieillir peut aussi être un atout, comme l’illustre le succès des Milf (acronyme de Mother I’d Like to Fuck) sur les plateformes pornographiques (ce hashtag était encore le troisième plus recherché sur Pornhub en 2022, d’après ses insights). Des superstars comme les Américaines Lisa Ann (51 ans), Reagan Foxx (53 ans) ou la plus célèbre de toutes, Nina Hartley (64 ans), défient les lois du jeunisme ambiant. Cette dernière, active depuis 1984, militante féministe pro-sexe et sexologue, est fière de la popularité du terme.
Dans un article paru en 2017 sur le site de Glamour US, “Does Mainstream Porn Have an Age Problem?”, elle affirmait : “Maintenant que Milf est une catégorie pornographique à part entière, il y a beaucoup plus de travail pour les femmes âgées. Des actrices comme moi ont activement fait évoluer les goûts en matière de divertissement pour adultes en fidélisant leurs fans au fur et à mesure qu’elles vieillissaient. Il ne fait aucun doute que le fait que je n’aie jamais pris ma retraite et que j’aie travaillé sans relâche a contribué à faire accepter l’âge dans le porno.”
“Une Milf pour moi, ça représente l’expérience. C’est une femme mature, sensuelle, rassurante, dominante, presque maternelle.” Mariska X, 44 ans
De ces mothers I’d like to fuck, Mariska X, 44 ans, est l’une des plus éclatantes représentantes en Europe. Actrice, réalisatrice, productrice et femme d’affaires, la Belgo-Brésilienne a fait de son âge une force : “Une Milf pour moi, ça représente l’expérience. C’est une femme mature, sensuelle, rassurante, dominante, presque maternelle.” Il y a assurément une fétichisation masculine de ce stéréotype, comme l’examine le chercheur Justin Lehmiller dans un article de son site Sex and Psychology : “Le fantasme des Milf est lié à une angoisse de l’attachement, à un sentiment d’insécurité de la part des hommes, bref à la peur d’être abandonné. Pour eux, la Milf est une femme qui sait ce qu’elle veut, qui prend les décisions, ça les sécurise.” Et, bien souvent, le physique des Milf correspond à une hyperféminisation fantasmée. Ce qui ne pose aucun problème à Mariska : “J’ai fait un peu de chirurgie esthétique. C’est important d’être fière de sa propre image. Mes seins sont refaits, mais beaucoup de gens pensent que ce sont des vrais. Je veux garder un look naturel le plus longtemps possible. Je ne veux pas être une bimbo.”
Conjuguer body positive et female gaze
La réalisatrice Olympe de Gê milite pour une représentation des femmes matures moins modelée par le désir masculin : “Il me semble que pour mettre en scène les femmes âgées dans le porno d’une manière sensible et intelligente, il faut conjuguer le body positive au female gaze. C’est ce que je défends depuis le début. L’idée est plutôt de montrer des femmes âgées désirantes, qui sont autrices de leur sexualité.” Une aspiration magistralement concrétisée dans son film Une dernière fois (2020, disponible sur son propre site), dont le thème est celui de l’ultime orgasme d’une femme (interprétée par Brigitte Lahaie) avant son suicide assisté. “Dans ce long métrage, j’ai voulu filmer le désir à cet âge-là d’une manière qui ne soit pas caricaturale. À cette période de la vie, quand ton sexe ne se lubrifie pas aussi bien ou qu’il ne bande plus aussi facilement, la sexualité se transforme, elle devient plus créative…”
Enfin, vieillir, c’est aussi acquérir une forme de sagesse. Quels savoirs peuvent être acquis après des années d’expérience dans le porn ? “Je me suis soignée de ce besoin maladif de séduire n’importe qui, confie Lou Charmelle. Je suis plus affirmée, j’ai appris à dire non.” Et quand je lui demande quels conseils elle donnerait à une jeune femme qui aimerait se lancer dans cette carrière, elle me répond : “N’y va pas. Si tu y vas sans une bonne solidité mentale, tu vas te faire manger.”
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