[Spécial sexe 2023] Réchauffement climatique, guerre en Ukraine, pandémie, inflation, fragilité démocratique, montée de l’extrême droite, lutte pour nos droits… Et si cette actualité anxiogène avait un impact sur notre libido ?
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“Il y a trop de contrariété, de colère. On se laisse envahir par l’extérieur. Le gouvernement actuel nous pèse. La politique menée nous oppresse. Alors oui, ça n’aide pas à être détendu. J’observe moins de lâcher-prise.” Nicolas, la quarantaine, est marié depuis quinze ans. Il sait, bien sûr, que “le processus” qui amène au sexe n’est pas le même après une telle durée de vie maritale. Mais pas dupe, il constate Eque depuis quelques années se joue autre chose.
Lui et sa femme vivent en milieu rural, sont “concernés et engagés à gauche”, grand·es lecteur·rices d’informations. Lui, intermittent du spectacle, passe pas mal de temps sur les réseaux sociaux “à lire des articles anxiogènes”. Le soir venu, ce sont de longues discussions autour de l’actualité. “Les milliards Sd’animaux morts lors des incendies en Australie, ça nous a beaucoup affectés.” L’année dernière, le soir du premier tour de l’élection présidentielle les a complètement abattu·es. Depuis, c’est sans fin.
Pour se retrouver et faire l’amour, Nicolas et sa femme doivent se couper de l’actualité
“On a l’impression d’une chape de plomb jour après jour.” Alors, pour se retrouver et faire l’amour, Nicolas et sa femme doivent se couper de l’actualité. Et créer une bulle, juste à elle et lui. “Il ne faut plus d’interférences du monde extérieur. Écouter de la musique nous aide beaucoup. On en joue ensemble parfois. On savoure un verre de vin. On danse aussi. C’est tout ça qui nous amène au sexe.”
Pour la sexologue clinicienne Camille Bataillon, le lien entre l’état de nos sociétés contemporaines, l’éco-anxiété et la libido ne fait aucun doute, bien que les personnes qui la consultent n’aient souvent pas encore fait le rapprochement. Comme si libido et environnement sociétal n’étaient pas corrélés. “En creusant, on constate un impact sur la sexualité, observe celle que l’on peut suivre sur le compte @camilleparlesexe sur Instagram. Surtout en termes d’anxiété. La tête est prise par autre chose, alors on n’est pas disponible pour des relations. Si un petit pourcentage de personnes déstressent par la sexualité, pour la plupart, l’anxiété va au contraire venir les freiner.”
En séance, les célibataires lui confient ne plus pouvoir “dater” à cause de l’inflation, du coût d’un resto. Les couples aussi avouent ne plus faire de sorties, pourtant propices à créer de l’intime. Avoir un enfant ? Et la guerre toute proche, la cherté de la vie, l’écologie ? “C’est difficile de prendre soin de soi quand tout n’est que tension autour, alors par ricochet c’est difficile de prendre soin de son couple. D’autant que le temps passé à lire des actus pesantes influe aussi sur la libido.”
Grosse fatigue informationnelle
À 32 ans, Léa essaie de laisser derrière elle un burn out, notamment grâce à une reconversion professionnelle. Si le stress de son ancien boulot a évidemment joué dans la présence de ses crises d’angoisse, elle se dit avec le recul qu’il existait d’autres facteurs. “J’ai fini par lier ma baisse de libido à la crise sanitaire, à mon éco-anxiété et à cette peur du monde dans lequel on vit. Je suis très sensible, tout ça m’affecte énormément. Je suis plus préoccupée par l’environnement extérieur que par moi et mon environnement intérieur.”
Depuis, la jeune femme tente de retrouver son équilibre et de délaisser réseaux sociaux et chaînes d’infos qui la conduisaient à se projeter dans un avenir incertain et sombre. “J’ai eu une énorme prise de conscience écolo, mais ça a aussi enclenché peur et anxiété. J’avais la sensation qu’on nous disait ‘Faites quelque chose !’, alors que tout ne peut pas reposer sur nos épaules.”
Gabriel, 25 ans, relie également ses soucis d’érection à une forte éco-anxiété : “Tout me touche et m’émeut. J’ai peur que les animaux disparaissent, je suis constamment aux prises avec l’actu.” Cette sur-sollicitation du cerveau bloque un éventuel, et nécessaire, lâcher-prise. “Ma compagne suit moins les infos, elle est plutôt ‘rassuriste’, elle ne comprend pas pourquoi je suis comme ça.” Léa, elle, n’avait plus envie de faire l’amour par impossibilité, analyse-t-elle, d’être tout entière dans l’instant présent. Comme Gabriel au final. La jeune femme se noie également dans une sorte de nostalgie du passé. “Je suis trop cérébrale. Je travaille là-dessus. À retrouver ma joie de vivre pour retrouver ma libido.”
“Plus on est conscientisé, plus c’est difficile à vivre” Victoire, trentenaire
Reconquérir une forme de légèreté passe pour beaucoup par un éloignement des réseaux sociaux. Nicolas, le quadragénaire marié, en convient lui aussi : “Les réseaux sociaux tuent le désir.” Quant à Victoire, trentenaire célibataire qui pratiquait beaucoup la masturbation “de manière un peu thérapeutique”, elle l’a peu à peu délaissée, sans s’en rendre compte immédiatement. Il lui a fallu un peu de temps pour mesurer l’impact de l’actualité sur sa non-envie de sexe. Cette ancienne journaliste, engagée et féministe, était “tout le temps sous l’actu”, jusqu’à en être oppressée. “Je n’avais plus du tout envie d’aller vers les gens pour des relations sexuelles. Même la masturbation, qui faisait partie de mes plaisirs, passait à la trappe. L’actualité est très négative, plus on est conscientisé, plus c’est difficile à vivre.”
Le sexe échappatoire ?
La sexologue et sexothérapeute Diane Deswarte, fondatrice du @clubkamami, aime utiliser l’image de la montgolfière pour symboliser le désir. Or plus cette montgolfière est lestée, moins elle va monter sans encombre. “L’écologie, les mouvements sociaux, la crainte de la guerre… Tous ces sacs vont venir alourdir la nacelle. Et puis, auparavant, l’espace chambre était l’endroit où décrocher. Mais les écrans y sont aussi à présent.”
Quand les personnes évoquent leur baisse de désir, Diane Deswarte fait avec elles le tour des raisons possibles : hygiène de vie, sommeil, nourriture, travail, “mais aussi rapport à l’information et à l’actualité”. Comme sa consœur, elle constate cependant que certaines personnes vont utiliser le sexe pour s’extraire de la morosité ambiante. C’est le cas de Miriam, mère célibataire de trois enfants récemment licenciée, qui considère que “soit on déprime, soit on s’échappe”. Avec une vie “plus dure et plus chère” depuis son divorce et l’inflation galopante, à 40 ans, elle trouve refuge dans le libertinage, en club ou soirée privée : “C’est une manière de poser mon cerveau, de m’éclater, de me libérer de ce monde incertain.”
Miriam a la sensation d’une société au bord de l’implosion où rien ne peut durer. “On dirait une épée de Damoclès. Comme si quelque chose allait péter à tout moment. Alors autant se sentir vivre. Je ne peux pas consommer économiquement, donc je consomme autrement !” Cette sexualité à la fois “animale et respectueuse” est actuellement pour elle une échappatoire épanouissante.
“Le sexe n’est pas à part, il est relié à la manière dont on se sent dans le monde” Diane Deswarte, sexologue et sexothérapeute
Pour d’autres, l’état du monde s’apparente à un cercle vicieux. Sous psychotropes pour sa bipolarité (des médicaments qui ont déjà un impact négatif sur la libido), Alexis, 32 ans, s’enfonce. “J’ai compris avec ma psychiatre que l’actualité a une incidence sur mes angoisses. Le climat actuel est un facteur important de ma santé mentale.” L’angoisse fait que son traitement a dû être réadapté et augmenté. Et plus le traitement est lourd, plus le désir s’évapore. “Ensuite, quand on voit qu’on a moins de libido, ça plombe. Et la boucle est bouclée.”
Camilla Bataillon conseille à toutes et tous, sans pour autant devenir hermétique aux réalités sociales, de se forcer parfois à la déconnexion. Et de se pencher sur des outils de gestion du stress. “La question, c’est : quelles activités me font du bien ? Sport, méditation, cuisine, jardinage, pratique artistique ou culturelle… Tout ce qui fait du bien.” Même si réussir à se créer une bulle intime n’est pas toujours simple.
Il faudrait donc, dans l’idéal, maîtriser “un individualisme ‘positif’ et ponctuel permettant une parenthèse, la possibilité de se recentrer sur soi”, expose la sexologue. “Le sexe n’est pas à part, il est relié à la manière dont on se sent dans le monde”, résume Diane Deswarte. Délester parfois la montgolfière pour baiser donc, mais affronter le monde le reste du temps.
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