Netflix préparerait une série télé adaptée de « La Légende de Zelda ». La perspective de voir le jeu vidéo de Nintendo devenir une sorte de « Game of Thrones familial » provoque une méfiance légitime. Mais il y a aussi des raisons d’espérer.
Stupeur chez les gamers. En fin de semaine dernière, le Wall Street Journal annonçait l’impensable dans sa section pop Speakeasy: Netflix préparerait une adaptation en série télé de La Légende de Zelda, fameuse saga vidéoludique médiévale-fantastique de Nintendo. L’idée serait de donner naissance à une sorte de Game of Thrones « familial » – a priori sans inceste frère-sœur ni pénis tranché, donc. Et, encore plus surprenant, avec de vrais acteurs et non sous forme de série animée comme cela a déjà été fait aux Etats-Unis à la fin des années 1980 pour une petite saison peu mémorable de 13 épisodes. Alors que, 22 ans après, le souvenir du long métrage en prises de vues réelles tiré de l’autre grande licence Nintendo, Super Mario Bros, hante toujours les fans du plombier à moustaches, faire de Zelda une série télé est-il vraiment une bonne idée ?
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Oh oui !
Tous les ingrédients d’une fiction passionnante sont là. Du premier jeu Zelda paru en 1986 à A Link Between Worlds (20113) en passant par le follement expérimental Majora’s Mask (qui ressort cette semaine sur la nouvelle 3DS), un univers d’une richesse incroyable s’est développé autour de Link, le petit héros en costume vert que dirige le joueur, et de la princesse qui donne son nom à la saga. Il y a des déserts arides et des forêts magiques où, un peu comme chez Miyazaki, tout vibre, tout vit. Il y a des peuples et des civilisations : les Gorons mi-humains mi-rochers, les hommes-poissons Zoras, les guerrières Gerudos…
Si l’intrigue des jeux prend souvent la forme d’un très classique parcours initiatique ponctués de nombreux apprentissages, la mythologie Zelda s’est tellement développée avec les années, d’embardées aériennes en voyages dans le temps, d’éblouissements maritimes cartoon en grande aventure miniature, qu’elle fait aujourd’hui figure de réservoir d’histoires inépuisable dans lequel les scénaristes n’auront qu’à puiser. Il leur sera d’ailleurs difficile de « trahir » la saga tant elle-même, joyeusement protéiforme, s’en est déjà chargée. Si Link a pu devenir conducteur de train et Zelda pirate, que pourrait-on interdire aux scénaristes de Netflix ?
Mon dieu, non !
Malgré tout, on se méfie. Le vrai problème, c’est que Zelda est un jeu vidéo. Ou, plus précisément, que tout ce qui le constitue obéit à des logiques vidéoludiques. C’est d’abord le cas de son personnage principal, qui ne s’appelle d’ailleurs Link que par défaut – chacun est libre de le rebaptiser à volonté. Il est ce qui fait le lien (« link », donc, en anglais) entre le joueur et le monde interactif. Un vecteur, un véhicule, une interface. Il ne parle pas et ne possède pas de véritable personnalité, juste les caractéristiques génériques du héros en formation. Rien à voir, donc, avec un personnage de série, de cinéma ou de roman, un Scaramouche, un Aragorn, un d’Artagnan. Il est un moyen plutôt qu’une fin, une porte d’entrée dans le jeu, une toile blanche sur laquelle le joueur est invité à se projeter. Pas sûr que cela fonctionne aussi bien dans une série. Et remplir la coquille vide (pour en faire un héros naïf, ou vantard, ou torturé…) conduirait sans doute à perdre de vue ce qui fait Zelda.
Mais la transposition du héros n’est pas le seul défi. C’est aussi le cas des lieux emblématiques du jeu, forêts, grottes ou donjons, pensés pour que le joueur les investisse, pour qu’il s’y perde et s’y retrouve, s’en éloigne et y revienne, se les approprie sauf que, soudain, un nouveau détail le surprend. C’est, au fond, ce qui les sauve de la banalité. Que deviendront-ils dans le cadre d’une fiction « linéaire », avec un début et une fin ?
Peut-être, en fait
On a longtemps supposé que les épisodes de la saga Zelda, au ton et à l’esthétique très divers, n’avaient pas forcément de liens directs entre eux et qu’il s’agissait plutôt d’une suite de variations sur un même récit héroïque. Il faut croire que l’on se trompait puisqu’il existe désormais une chronologie officielle de la saga, mais même cette dernière se décompose en trois branches qui correspondent à autant de réalités parallèles – entre lesquelles chacun a d’ailleurs le droit d’avoir sa préférence. Autant dire qu’il y a tout à fait la place dans ce charmant embrouillamini pour une série télé qui opterait pour l’une des voix empruntées par les jeux, voire qui en inventerait.
La seule vraie condition pour s’en sortir : que les auteurs de la série fassent de vrais choix, osent afficher un point de vue fort et marqué. Qu’ils jouent le jeu, en somme, c’est-à-dire qu’ils se l’approprient. S’ils s’acharnent à concilier l’inconciliable, on peut craindre le pire. Mais même le pire ne sera pas grave. Quoi qu’il arrive, si elle existe, la série s’ajoutera aux jeux – elle ne leur retirera rien.
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