En cours, la quatrième saison dépasse toutes les limites de la bienséance et de l’empathie. Une comédie noire et rêche sur l’égoïsme
Quand il se promène sur le plateau de tournage de sa comédie triste You’re the Worst, Stephen Falk passe souvent par le département des accessoires pour vérifier le travail des techniciens. Les faux téléphones de son héroïne Gretchen (Aya Cash), une trentenaire agitée en pleine interrogation sur son avenir sexuel, sentimental et autres, attirent particulièrement son attention. Ce qu’il inspecte en premier ?
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Le pourcentage de chargement des batteries. Une fois, le smartphone de Gretchen était chargé à 95 % et Falk a demandé à ce que cela soit changé, même si l’objet n’apparaît que dans quelques plans à chaque épisode. Un détail pour nous, qui pour lui voulait dire beaucoup : “Elle n’a jamais 95 % de batterie. Son téléphone est toujours à la limite, parce qu’elle n’est pas en maîtrise. Cette fille n’anticipe rien.”
Une saison 4 qui pousse le bouchon encore plus loin
L’attention portée à un petit bout d’écran à l’intérieur de l’écran illustre le goût pour la précision qui donne à la série de FX (la chaîne de Breaking Bad autrefois, de Fargo et Legion aujourd’hui) une étonnante cohérence narrative et émotionnelle. You’re the Worst pourrait ressembler à des “dramédies” aux contours plus ou moins similaires, de Love à Casual.
Elle se démarque par un certain classicisme (des personnages dessinés une fois pour toutes, comme dans les sitcoms type Friends) appliqué à des sujets ultracontemporains comme la défaite de l’amour, l’égoïsme devenu mode de vie et l’enfer des blessures intimes qui empêchent de vivre comme des êtres sociaux épanouis.
“Ce sont des relous narcissiques, analyse Stephen Falk. Des gens que j’ai toujours trouvés dans les sitcoms anglaises, ou comme cinquième rôle dans une comédie chorale. Je ne crois pas que quelqu’un avait eu l’idée d’en faire des figures centrales.”
Voilà quatre saisons que cela dure, même si cette année, la série pousse le bouchon encore un peu plus loin. Gretchen, son ex Jimmy (Chris Greer), ainsi que leurs amis Edgar (Desmin Quintero) et Lindsay (Kether Donohue), sont arrivés à un point de rupture sous le soleil angoissant de Los Angeles.
Les errements glaçants de quelques garçons et filles
Une rupture littérale puisqu’au dernier épisode de la saison 3, attention spoiler, Jimmy proposait à Gretchen de l’épouser, avant de prendre ses jambes d’ancien jeune idiot à son cou. Un départ brutal dont Falk et ses coscénaristes gèrent les conséquences traumatiques en montrant le presque marié longtemps bloqué dans un camping pour séniors, où il partage une caravane avec un septuagénaire, et la presque mariée en pleine descente autodestructrice, incapable de sortir de chez elle et d’arrêter de boire. Il faut attendre plusieurs épisodes avant qu’un mouvement ne reprenne vraiment.
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Dans sa deuxième saison, la série avait déjà montré, avec une forme de radicalité rarissime dans l’entertainment, la dépression de Gretchen, tout en continuant à relater les troubles du comportement d’Edgar, un ancien soldat revenu d’Irak souffrant de troubles post-traumatiques. Cette appétence pour les corps et les âmes en souffrance ne s’est jamais démentie.
Gérer les errements glaçants de quelques garçons et filles, tel est en effet le destin de You’re the Worst, qui s’en accommode aujourd’hui sans honte. Question de maturité, probablement. Impossible pour une série qui vieillit, si elle ne veut pas disparaître sans laisser de traces, de laisser de côté sa nature profonde, y compris si cette nature est hostile.
Une comédie (non)romantique
Moins les histoires à raconter sont inédites, plus il faut creuser son sujet, accepter de rester coincé dans les rets de ce que l’on a créé. Une série ayant poussé ses personnages dans leurs retranchements doit les montrer dans ces retranchements, si elle est un tant soit peu honnête. You’re the Worst l’étant absolument, la saison 4 – dont un peu plus de la moitié des épisodes a déjà été diffusée – peut provoquer quelque malaise : les un.e.s et les autres ne trouvent que peu de raisons de croire en un avenir meilleur.
La série, au bout du compte, n’aura jamais aussi bien porté son nom. “Tu es le/la pire”. Cela ressemblait à une blague, une punchline qui marquait le début de cette comédie (non)romantique : Gretchen rencontrait Jimmy pour un soir et elle lui balançait cette phrase, en guise d’au revoir, merci pour tout. Ils ont fini par rester collés, puis par se séparer, avant de connaître une attraction/répulsion permanente qui fait aujourd’hui leur quotidien.
Ils représentent un modèle de non-synchronisation. Et nous, là-dedans ? On essaie d’en rire jaune. On n’avait pas prévenu, mais You’re the Worst est vraiment hilarante. C’est ce qu’elle raconte qui ne l’est pas. Olivier Joyard
You’re the Worst Saison 4, Canal+ Séries et MyCanal
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