Scindée en deux parties pour faire durer le plaisir, la saison 4 de “You”, qui livre ses 5 premiers épisodes cette semaine, inverse son procédé en faisant de son héros à la moralité trouble une victime plutôt qu’un bourreau.
Exit le soleil californien, bonjour le London fog. Après une saison 2 au purgatoire (entendez : Los Angeles), et une saison 3 en enfer (sa banlieue pavillonnaire cossue), Joe Goldberg (Penn Badgley) s’exile de l’autre côté de l’Atlantique pour tenter de refaire sa vie. Joe Goldberg ? Pas exactement, puisque “l’amoureux” obsessionnel et psychopathe notoire, qui depuis ses débuts en 2018 empile les cadavres de ses petites amies, de leurs ex invasifs et d’autres victimes collatérales, entend bien repartir de zéro sous une nouvelle identité : celle de Jonathan Moore, charmant prof de lettres installé dans la capitale britannique, veste en tweed réglementaire sur les épaules.
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Mais voilà, en dépit de sa quête de normalité, Joe est fatalement rattrapé par son passé lorsqu’au terme d’une soirée trop arrosée, un mystérieux maître chanteur lui fait porter le chapeau d’un meurtre qu’il n’a (pour une fois) pas commis, et lui envoie des textos intraçables laissant entendre qu’il sait tout de lui. Passant de bourreau à victime, Joe devra débusquer son oppresseur-mystère au sein de son nouvel entourage : un ramassis d’imbuvables jet-setteur·euses à la gloriole satisfaite, tous·tes issu·es de l’aristocratie britannique.
Whodunit
Une scène dans le deuxième épisode livre en souterrain l’ambition de cette saison. On y voit Joe, fin littérateur, effectuer des recherches sur son mystérieux meurtrier à la lumière de whodunit, ces romans à énigmes, à la Agatha Christie, consistant à suspecter un à un les personnages du récit jusqu’à débusquer le coupable. Si Joe considère ce sous-genre comme “le degré zéro de la littérature”, une de ses étudiantes, calée en la matière, lui assène qu’en plus d’être fun, ces romans livrent souvent en filigrane un sous-texte social abrasif.
Reprenant la structure rigoureuse d’un whodunit, cette quatrième saison se verrait bien telle qu’énoncée par son étudiante : à la fois série à énigme fun et ludique, holmesienne dans l’âme mais branchée sur son époque, et critique vénéneuse de l’aristocratie contemporaine. Hélas en tentant de se réinventer après une troisième saison en roue libre – qui devenait néanmoins fascinante d’absurdité ; sorte de croisement chaotique entre Dexter et Desperate Housewives – You ne fait qu’émuler pauvrement un sous-genre déjà largement labouré, et oublie ce qui faisait le sel de ses premières saisons : sa moralité trouble et les soliloques caustiques de son héros désaxé, psychopathe qui s’ignore tentant de justifier ses forfaits selon un système de valeur toujours plus aberrant.
Quant à la critique sociale, elle ne dépasse jamais le stade embryonnaire de la caricature grotesque, et la série n’oppose à sa galerie d’aristos imbu·es d’elleux-mêmes – héritier·ières de grandes fortunes, magnats de l’industrie ou influenceur·euses mou·es du bulbe – qu’une série de personnages non moins médiocres : parvenu·es aux dents longues ou transfuges de classe revanchard·es aux méthodes d’élévation sociale tout aussi critiquables. Tous·tes pourri·es ?
Malgré une torsion de concept et un changement de décor (qui charrie son lot de clichés londoniens), la saison 4 de You ne parvient jamais à faire oublier sa nature d’excroissance forcenée, qu’on devine davantage motivée par les audiences de la série que par les idées qui justifient péniblement son existence.
You – Saison 4 Partie 1 avec Penn Badgley sur Netflix depuis le 9 février
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