Prendre soin de soi ou des autres ? La série queer revient pour une deuxième saison où l’héroïne fragile explore son sentiment de culpabilité.
Dans un monde sériel saturé d’événements à la Succession et de productions plus riches les unes que les autres comme l’imminente Foundation à voir en septembre, il reste une place de plus en plus ténue pour les projets sans stars et presque sans dollars, dont l’ambition consiste d’abord à survivre dans le flux. Les audiences ? Pas forcément un problème. La soumission aux lois du cliffhanger ? À d’autres. La haine industrielle de la “chronique” et le besoin de rebondissements toutes les deux minutes ? C’est l’inverse qui se joue, sous la forme d’une célébration douce mais frontale de vies instables, qui suffisent à produire de la fiction simplement parce que nous les regardons. Concernant Work in Progress, l’aspect radicalement outsider de la série va de pair avec son personnage principal, une femme de plus de 40 ans capable de se définir comme suit : “Je suis une gouine grosse et queer.” Tout un programme. Tout un imaginaire.
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Abby, c’est son nom, a été créée par Abby McEnany, actrice et scénariste de Chicago spécialisée dans la comédie improvisée. La chaine câblée Showtime – historiquement la principale concurrente de HBO avant l’arrivée des plateformes – lui a donné carte blanche pour raconter son existence, ou plutôt, en reprenant un vocable venu de Gilles Deleuze, pour se mettre en position de la “légender”. L’autofiction agit ici comme un tremplin vers une forme de créativité débarrassée des normes.
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Thérapie filmée
Dans la première saison, il était question des graves pulsions suicidaires d’Abby et de son chemin pour éviter le pire, au gré d’un rituel à base d’amandes que celles et ceux qui n’ont pas encore vu la série doivent absolument découvrir. Une histoire d’amour avec Chris, un homme trans, lui permettait de se projeter un peu plus loin, jusqu’à une déchirante scène finale remplie de sentiments violents. Ce qui frappe avec le début de la deuxième saison – nous avons pu voir quatre épisodes au moment d’écrire ces lignes – tient à la manière dont la série prend le temps de faire comprendre et ressentir les suites de ce moment, librement et sans la pression du “résultat” narratif.
Cela paraît très, voire trop simple, mais il est vraiment question dans Work in Progress d’une attention portée à la manière dont l’intimité se déconstruit et se reconstruit, comme une forme de thérapie filmée, scandée par des vannes qui allègent l’ambiance. Il est d’ailleurs beaucoup question de psys. Nous suivons Abby cherchant la bonne personne pour l’écouter, sans forcément y parvenir. Le tout début du premier épisode, diffusé en 2019, montrait la mort en direct de sa thérapeute durant une séance, une merveilleuse idée de comédie noire. Cette fois, nous allons et venons dans le continuum existentiel d’Abby – jusqu’à revenir vers sa pré-adolescence lors du bel épisode 2 – pour éprouver sa quête souvent impossible d’une oreille professionnelle bienveillante.
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En marge de l’hétérosexualité
Alors qu’elle souffre de dépression et de TOC, il reste à l’héroïne une solution : créer un espace à elle en fréquentant en priorité des personnes qui connaissent sa maladie mentale et vivent en marge de l’hétérosexualité dominante. Abby partage maintenant son appart avec une amie lesbienne qui vient de perdre son chien. La série ne cesse de faire exister des personnages périphériques très divers, de tous les âges, de toutes les conditions.
En résulte un mix de comédie de caractères vorace et de militantisme queer qui pose sans cesse la question de savoir comment mener une vie bonne, non seulement pour soi mais pour celles et ceux qui nous supportent et nous aiment. Bientôt, il sera temps pour Abby de rattraper, si elle le peut, ses actions et ses mots blessants de la première saison. Sa culpabilité devient un moteur.
À la production de Work in Progress – et selon le Hollywood Reporter, dans une position de showrunneuse -, on trouve Lilly Wachowski, dont l’amour du collectif et le goût pour les aventures transgressives pointent à chaque instant. Sans être toujours au même niveau – comme la vie, forcément décevante par moments –, la série parvient à tenir sur un fil fragile et émouvant. On ne peut que conseiller d’y plonger en accueillant toutes les altérités, y compris les nôtres que nous ne soupçonnions pas toujours.
Work in Progress saison 2 d’Abby McEnany et Tim Mason, avec Abby McEnany, Celeste Pechous, Karin Englin. Sur MyCanal.
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