La première création originale française du géant américain manque de mordant et de profondeur, malgré une écriture assez fraîche. À voir pour quelques vannes.
Que Disney+ mette en ligne une première série française au titre de carte de réduction SNCF nous surprend un peu. Mais après tout, les voies du marketing restent impénétrables. Et avant de voir la suite avec la très attendue Oussekine en clôture du prochain festival Séries Mania (du 18 au 25 mars à Lille) sur l’affaire de violences policières la plus commentée depuis 40 ans, on peut aussi avoir envie de regarder Éric Judor gesticuler en père dépassé-vanneur-lâche-mais-génial.
Dans Week-end Family, le créateur de feue Platane se range des voitures, dans la peau de Fred, un jeune quinqua qui a eu trois filles avec trois femmes différentes et vient de rencontrer une irrésistible thésarde québécoise en psychanalyse et psychologie de l’enfant, Emmanuelle (Daphnée Côté-Hallé, assez brillante). Cette dernière débarque chez lui et une famille recomposée s’anime devant nos yeux, avec trois enfants dans l’équation : Clara, quinze ans, Victoire, douze ans et Romy, neuf ans. Sans compter les mamans qui s’invitent à déjeuner plus que de raison et restent au taquet sur les activités sportives.
On se frotte d’abord un peu les paupières en se demandant ce qu’on voit vraiment : un remake caché de Fais pas ci, fais pas ça ? Une version remixée de 7 à la maison ? Les producteurs, en tout cas, sont ceux de la série familiale pas si nulle autrefois diffusée sur le service public. Nous sommes donc bien devant un divertissement tout public (venez avec vos enfants) filmé en couleurs vives, dans un pays où il ne pleut jamais, où un ostéopathe et une post-doc habitent un grand appartement près du canal Saint-Martin à Paris, sans que cela ne semble leur poser le moindre problème de porte-monnaie. Le fameux vide politique des séries françaises n’a pas disparu. Dans Week-end Family, il est bien question d’écologie via l’ado semi-rebelle, mais c’est avant tout pour faire des blagues sur les poireaux, jamais pour gratter un peu nos modes de vie et encore moins nos gouvernements.
Une “sitcom” qui ne prend aucun risque
La liste de ce qui sonne assez faux est encore fournie dans cette sitcom qui ne dit pas son nom. Mais c’est aussi le genre qui veut cela. À chaque épisode, un nouveau thème surgit, avec sur le fil total de la saison une sérialisation minimale. Un regret plus important tient à la manière qu’a la série de ne jamais vraiment problématiser l’existence de son personnage principal, ni plus ni moins qu’une version cool et fun du mâle dominant, cette fois perdu dans un monde de femmes. À partir de quand l’image du type qui “fait ce qu’il peut” est-elle suffisante pour créer du sens ? Judor a clairement le désir de travailler ce motif, de mettre en scène et en action une telle figure du passé, qui survit aujourd’hui sous une forme différente. Les pères ont d’ailleurs une place de plus en plus importante dans les comédies françaises, comme c’était le cas récemment dans L’Amour Flou, avec le personnage farfelu de Philippe Rebbot. Mais ce n’est pas toujours pour renverser la table des rôles genrés. Ici, les scènes s’arrêtent souvent au moment où un accroc pourrait vraiment survenir, tant le cahier des charges Disney semble rigide.
Il faut évacuer nos attentes politiques voire sociétales pour regarder Week-end Family sans déplaisir. Et cela reste largement possible, puisque la série n’a pas les aspects laborieux de pas mal de productions comiques et/ou romantiques françaises. On rit pas mal devant le sens du tempo assez imparable d’Éric Judor, qui parvient à conserver un fond ironique à son personnage, à apporter un minimum de folie à cet univers assez lisse. À l’écriture, on retrouve quelques noms intéressants comme celui de Géraldine de Margerie, jeune scénariste/réalisatrice qui fera parler d’elle cette année avec Toutouyoutou (OCS) et Louis XXVIII (France TV Slash), mais aussi Nour Ben Salem, issue de la Fémis et qui cosigne aussi Le Monde de demain, la très attendue saga d’Arte sur les débuts de NTM. Le créateur, Baptiste Filleul, a notamment participé à l’adaptation française de la britannique Doctor Foster. Dans les vieux pots de la sitcom familiale s’élaborent donc des recettes un peu plus fraîches que d’habitude. Même si nous sommes loin d’Ovni(s) en ce qui concerne l’ambition formelle, Week-end Family nous fait comprendre que nous avons changé d’ère.
Week-end Family, créée par Baptiste Filleul. Sur Disney+.