Les bonnes séries venues d’Asie existent mais on les connaît peu. Exemple avec la délicate « Going Home », par le réalisateur de « Still Walking », Hirokazu Kore-eda.
Aller voir ailleurs, c’est-à-dire en dehors de la sainte trilogie Amérique-Angleterre-Scandinavie, qui occupe la majorité des esprits et des heures de visionnage disponibles, voilà une mission pas toujours simple pour l’amateur de séries.
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Malgré internet, les sériephiles se trouvent aujourd’hui peu ou prou dans la situation de leurs aïeuls cinéphiles il y a une cinquantaine d’années, quand la mondialisation et les festivals n’avaient pas encore fait leur office de défricheurs. La question se pose toujours de savoir par où commencer et quoi choisir, tant les « séries du monde », comme on les appelle poliment aujourd’hui, souffrent d’un manque d’exposition flagrant dans nos contrées. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’elles sont moins intéressantes que les mastodontes sans frontières à la Game of Thrones.
Prenons l’Asie, par exemple. Un continent à défricher, dont seules quelques perles animées ont trouvé leur chemin jusqu’à nous grâce au dynamique éditeur Kaze – on se souvient notamment de l’exceptionnelle Ghost Hound, sortie en DVD il y a deux ans. Se partageant le leadership, la Corée et le Japon produisent pourtant chaque année des dizaines de séries plus traditionnelles, parmi lesquelles quelques tentatives formelles particulières sortent du lot. C’est assurément le cas de Going Home, minisérie en dix épisodes diffusée à l’automne dernier par Fuji TV. Le nom du réalisateur et coscénariste attire l’attention. Hirokazu Kore-eda, 50 ans, s’est fait connaître depuis une douzaine d’années comme un cinéaste habitué du Festival de Cannes (encore cette année avec Like Father Like Son).
Des touches loufoques dans un drame intimiste
Sans être considéré comme un génie, l’homme a réussi quelques coups d’éclat notables, comme le funèbre Nobody Knows (2004), dans un style minimaliste et apaisé. Parfaitement dans la tendance du moment, il s’essaie pour la première fois de sa carrière à la série télévisée, à peu près en même temps que son compatriote Kiyoshi Kurosawa (Shokuzai) et qu’une réalisatrice de renom, Jane Campion (Top of the Lake).
Going Home se rapproche par sa thématique de l’un des derniers films de Kore-eda, Still Walking, où une famille se réunissait en mémoire d’un enfant décédé. Ici, un grand-père tombe dans le coma au premier épisode. L’occasion pour son fils, sa femme et sa fille, de passer à nouveau du temps ensemble et de démêler leurs secrets. Plus classique, tu meurs ? Pas forcément. Ici, le schéma du drame intimiste se trouve perturbé par des petites touches d’extériorité, tantôt loufoques, tantôt légèrement fantastiques, avec l’irruption de créatures légendaires, les « Kuna », qui occupent la quête de sens du héros.
Sans se presser, Going Home déploie son rythme empreint de banalité, collé au quotidien, antispectaculaire. De toute évidence, le réalisateur ne connaît pas les séries contemporaines. En interview, Kore-eda fait d’ailleurs uniquement référence aux drames télévisuels japonais des années 60 qu’il regardait avec ses parents. C’est peut-être un avantage. Sans se soucier des règles, Kore-eda ne change quasiment rien à sa manière de filmer en passant du grand au petit écran. Il laisse s’épanouir des plans fixes et s’amuse de détails infimes qui prennent sens à retardement.
Cette vision de la mise en scène potentiellement désuète s’adapte parfaitement au récit sériel, dont une des fonctions reste d’étirer la réalité. Prendre le temps de regarder des êtres se révéler à eux-mêmes durant des heures n’est pas la moindre qualité d’une bonne série. Avec sa petite musique narrative entêtante, Going Home en fait partie.
Olivier Joyard
Going Home minisérie de Hirokazu Kore-eda. Deux épisodes à voir au festival Séries Mania, samedi 27 avril, 21 h, Forum des images (Paris Ier),
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