Les auteurs de « 30 Rock » reviennent avec « Unbreakable Kimmy Schmidt », la meilleure comédie de l’année – jusqu’à preuve du contraire.
En l’an 2000 sortait Unbreakable (Incassable en VF), le film de superhéros terminal de M. Night Shyamalan. Quinze ans plus tard, voici Kimmy Schmidt. Cette fille n’a aucun superpouvoir mais la rumeur la dit aussi unbreakable – incassable, donc – que Bruce Willis. Elle est l’héroïne tenace de la nouvelle sitcom de Tina Fey, créée par la star de la comédie US avec son compère de longue date Robert Carlock, lequel officia notamment comme showrunner de 30 Rock.
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Dans les premières scènes, Kimmy Schmidt est extraite d’un bunker souterrain où elle vivait depuis des années avec d’autres femmes, captive d’un gourou très Amérique profonde. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, la rousse (qui vit toujours comme dans les années 90 et sourit toute la journée malgré son trauma) débarque dans le New York contemporain. Elle trouve un appartement en colocation avec Titus, un chanteur/comédien noir et gay sur le retour. Ce n’est pas nous qui soulignons l’orientation sexuelle et la couleur de peau de Titus la folle, mais bien la série. Unbreakable Kimmy Schmidt est une sitcom que devait diffuser la chaîne grand public NBC, avant de changer d’avis brusquement devant le drôle d’objet qu’elle tenait entre les mains – un genre de refus d’obstacle digne d’un concours d’équitation – et de laisser Netflix s’emparer de l’aubaine.
Là où les minorités prennent le pouvoir symbolique
S’il fallait inventer un terme pour qualifier les treize épisodes de la première saison qui vient d’être mise en ligne, celui de “néositcom” pourrait fonctionner. Unbreakable Kimmy Schmidt n’est pas la première tentative d’approche réflexive sur ce genre éternel de la télévision US. Depuis Seinfeld, celui-ci ne cesse d’être déconstruit. Sauf qu’ici tout ou presque pourrait laisser croire au spectateur distrait qu’il se trouve devant une réplique parfaite. Les éclairages sont ceux d’une sitcom classique, les placements de caméra également, à quelques exceptions près. Nous sommes loin de l’effet faux documentaire en vogue depuis le milieu des années 2000. Seuls les rires enregistrés manquent à l’appel.
Ce n’est pas sur le versant formel qu’Unbreakable Kimmy Schmidt détonne mais sur les thèmes qu’elle aborde. Elle avance volontairement masquée, afin de mieux enclencher les obsessions du duo Fey/Carlock : une vision de la fiction où les minorités sexuelles, sociales et autres prennent le pouvoir symbolique. Ici, tout est fait pour mettre en lumière les crispations encore puissantes qui sclérosent la société américaine (Kimmy est employée comme bonne dans une richissime famille de Wall Street) et dénoncer du même coup les manques dans leurs représentations. 30 Rock fonctionnait déjà de cette manière, mais avec moins d’ampleur en tant que satire d’un milieu particulier – la télévision et ses grands patrons mâles et blancs. Ici, l’humour décoché par flèches aussi drôles que douloureuses brasse un spectre plus large. Seul accroc, bien étrange, le sort réservé dans les premiers épisodes au personnage d’ado, digne d’une mauvaise chanson de Jean-Jacques Goldman.
Reste enfin la personnalité de Kimmy, jouée par l’ex-inconnue Ellie Kemper. Tout ce qui fait décoller la série passe par elle, sa découverte du monde actuel qu’elle tente de rendre humain malgré tout, la manière qu’elle a de gérer les plaies béantes de son passé. L’humour délirant qui structure Unbreakable Kimmy Schmidt ne vaut que parce qu’il passe par son corps spécial, à la fois aérien et profond. Elle rappelle de grandes figures féminines de l’histoire des séries comme Mary Tyler Moore – héroïne de sitcom seventies et emblème féministe. Ce burlesque-là n’est pas à prendre à la légère.
Olivier Joyard
Unbreakable Kimmy Schmidt saison 1, 13 épisodes, Netflix
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