Trois raisons de plonger dans les nouveaux épisodes tordus et émouvants de la nouvelle saison de « Twin Peaks ». Le recap 100% spoilers.
L’entrée dans le premier épisode de Twin Peaks depuis 1991 a lieu par des images familières : le sol zébré de la « red room », les rideaux rouge sang en forme de signature angoissante, le visage de l’agent Dale Cooper (Kyle MacLachlan) face à Laura Palmer (Sheryl Lee). Elle lui donne rendez-vous dans vingt-cinq ans. Par le biais de ce début qui est aussi un flashback tiré de l’une des dernières scènes de la deuxième saison, nous voilà déplacés entre deux mondes et entre deux temps : à la fois un quart de siècle plus tard, aujourd’hui devant notre écran, mais aussi un quart de siècle en arrière, au cœur d’un pur renversement lynchien. Prêts à replonger.
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“Est-ce le futur ou le passé ?”, entend-on bientôt. Personne ne le sait encore vraiment. Des plans de forêt embrumée surgissent, la caméra entre à l’intérieur du lycée que fréquentait la blonde morbide Laura. Twin Peaks ressemble encore à Twin Peaks. Mais cela ne dure pas. Après huit minutes, le territoire s’élargit.
Des nouveautés
Comme annoncé, cette nouvelle saison de l’aventure sérielle majeure des années 90 propose des lieux et des visages inédits – 217 rôles sont prévus au total. Les deux premiers épisodes tordus diffusés ce dimanche aux Etats-Unis voyagent de Twin Peaks jusqu’à Manhattan en passant par la petite ville de Buckhorn dans le Dakota du Sud, où une femme a été atrocement assassinée – sa tête coupée est associée à un corps masculin. L’enquête criminelle qui se profile devrait structurer la narration de cette saison dans son versant linéaire.
Bill Hastings (Matthew Lillard), le principal quinquagénaire du lycée, est accusé de ce meurtre. Mais il ne comprend pas ce qui lui est arrivé. A-t-il vraiment voulu tuer ? Emprisonné, il apprend que sa femme a découvert qu’il la trompait avec la victime et qu’elle le trompait elle aussi. L’Amérique profonde vue par David Lynch recèle toujours de lourds secrets à la fois banals et cruels. Le mal s’y amuse, il traine par là en toute liberté. On s’attend à voir débarquer l’agent Dale Cooper pour mettre l’affaire au clair. Sauf que non. Un homme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau traîne bien dans le coin, mais il est affublé de cheveux mi-longs, d’un blouson de cuir et d’un regard de tueur buriné. Que fait-il là ? Nous y reviendrons.
En parallèle, à New York, un jeune homme s’ennuie devant un cube de verre filmé par plusieurs caméras de surveillance. Payé par un millionnaire non identifié, il doit attendre que « quelque chose » y apparaisse tout en rangeant des cartes mémoire vidéo quand elles sont pleines. Alors qu’il emballe une conquête sur le canapé juste en face – il faut dire qu’elle lui a apporté du café -, une créature sort de cette étrange structure et leur saccage le visage. Un moment de terreur absolue, qui annonce une tonalité sombre, peut-être plus proche de Twin Peaks : Fire Walk With Me (1992), le film mal aimé, que de la série originale. La majorité des aspects ironiques et parodiques de cette dernière (notamment liés au pastiche du soap opera) ont d’ailleurs largement disparu. Pour l’instant.
Des fantômes
A la place de la (fausse) légèreté des deux premières saisons, Twin Peaks nouvelle ère se pose comme une tragédie collée à une époque, la nôtre, où les ténèbres sont partout. Elle ne cesse de convoquer des fantômes et nous en montre même la production. Le cube de verre – grande idée formelle et théorique de ces deux premiers épisodes – est présenté comme une boite à images recrachant des formes spectrales. De manière assez explicite, il agit comme une métaphore du cinéma comme lieu de passage entre le monde des rêves glacés et la réalité sur laquelle il se projette. Un lieu de beauté et de danger quand le monde s’avère beau et dangereux. De cette boîte sort l’ectoplasme qui vient dévorer les amants. Une image primitive renvoyant aux premiers âges du cinéma, quand celui-ci était contemporain des chasses aux fantômes et des tables tournantes, mais qui utilise aussi les dernières techniques numériques. Un début et une fin.
Lynch exprime ici sa mélancolie d’un art qu’il considère comme mourant. Il sait que le cinéma n’est plus seul à montrer la mort au travail et que son pouvoir de fascination s’estompe. Il en est même lui-même partiellement responsable. Mais il parvient à dépasser sa tristesse et n’oppose pas cinéma et série de manière caricaturale. Il invente une dynamique et une attache entre les deux.
Aujourd’hui, les séries produisent aussi des fantômes. De beaux fantômes émouvants. De ce point de vue, les débuts de Twin Peaks 2017 parviennent régulièrement à bouleverser de la manière la plus simple et limpide qui soit. La femme à la buche (Catherine Coulson) envoie la première flèche. Malade, l’actrice a tourné ses scènes juste avant de mourir – ce début de saison lui est d’ailleurs dédié. Elle tisse le lien fébrile entre le monde des vivants et celui des trépassés, cette frontière sur laquelle navigue la série. Elle a tout juste le temps de signifier à Hawk (Michael Horse) que son héritage amérindien pourrait l’aider à lever les mystères des forêts de Twin Peaks. Nous verrons bien.
Le vieillissement des personnages, déjà très beau dans les différents teasers mis en ligne depuis quelques mois, apparaît désormais en plein jour. Ce sont les corps éprouvés de Andy (Harry Goaz), Shelly (Mädchen Amick), Benjamin Horne (Richard Breymer), Lucy (Kimmy Robertson) et quelques autres. C’est le visage de Sheryl Lee (Laura Palmer) qui n’a plus rien de la reine du lycée qu’elle fut mais conserve ce sourire de Joconde.
Toute la difficulté de Twin Peaks à être et à avoir été, toute la puissance de cette équation impossible, s’incarne à travers des hommes et des femmes devenus leurs propres spectres. A chacune de leurs apparitions, il faut traverser un moment de sidération pour comprendre qu’ils nous sont familiers. Un recadrage mental et visuel s’impose avant que l’on accepte la vérité. Pour éprouver vraiment cet effet boomerang, il est recommandé d’avoir vu ou revu la série avant d’attaquer cette troisième saison.
Cooper coupé en deux
Cooper coupé en deux, c’était le cliffhanger de la série avant aujourd’hui. Possédé par l’affreux Bob (le meurtrier de Laura Palmer qui avait précédemment habité le corps du père de la jeune femme, Leland), l’agent du FBI en apparence si propre sur lui touchait sa part sombre et sa profonde dualité dans les ultimes instants de la deuxième saison. Il l’embrasse désormais pleinement, puisque nous retrouvons Dale dans le Dakota du Sud, sous les traits du type assez louche dont il était question plus haut.
Un tueur redoutable qui n’est autre que son jumeau maléfique, son doppelgänger capable de trucider de sang-froid et dont la tête est mise à prix. Le “bon” Dale Cooper n’a pas les cheveux mi-longs comme lui. Il les plaque toujours en arrière et s’ennuie ferme dans la « Black Lodge » depuis vingt-cinq ans. Pour s’en libérer, il doit faire rentrer son double au bercail et probablement le mettre hors d’état de nuire. Dans l’une des dernières scènes de ce double épisode, nous le voyons chercher la sortie de la « Black Lodge » en errant dans des couloirs qui se ressemblent tous. Il finit recraché par le cube de verre. Il est probable que les seize épisodes restant mettent en scène la lutte de Cooper contre lui-même, dans un vertige permanent.
Lynch savait probablement, en décidant de remettre le couvert, qu’il ne pouvait se contenter de reproduire une mythologie et d’en récolter les fruits trop murs. Il savait que Twin Peaks devait identifier ses doubles maléfiques et éviter la tentation de devenir un best-of d’elle-même. Le monde du petit écran et celui du cinéma ont beaucoup trop changé depuis vingt-cinq ans pour que cela n’ait aucune conséquence. C’est peut-être la raison pour laquelle ces nouveaux épisodes attendus depuis si longtemps peuvent apparaître comme retors et parfois obscurs.
Lynch, qui réalise tous les épisodes, n’a pas choisi la voie la plus facile. Il n’en existait sans doute pas. Alors, il ne se refuse rien. Il fait même parler un morceau de chair posé sur un arbre. Il va falloir lui faire confiance. Nous lui devons bien ça.
Olivier Joyard
Twin Peaks saison 3
Episodes 1 et 2 le jeudi 25 mai à 22h25 sur Canal Plus.
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