“There’s some fear in letting go”. On pourrait prendre la phrase-titre comme une explication de l’aspect écourté et frustrant de la plupart des séquences du 15e épisode, plus explosé que jamais : au lieu de “laisser aller”, on se retient par appréhension. Bref, aucun des tronçons narratifs de cette partie n’est vraiment abouti. Mais on a droit, malgré tout, à quelques formidables épiphanies tordues dont master David a le secret.
Au moins quatre morts dans ce n°15 de la série. On se dépêche d’élaguer en supprimant quelques éléments avant la dernière ligne droite. Quoi de plus commode que de faire mourir quelques personnages pour laisser le champ libre à d’autres plus importants, et pour endiguer ce phénomène de fuite en avant dont nous parlions ? La mort la plus curieuse et poétique est celle de la pythie de Twin Peaks, la Femme à la bûche, annoncée par elle-même au téléphone. L’épisode est dédié à cet ange tutélaire, alias Madeleine Lanterman, incarnée par Catherine Coulson. Celle-ci était atteinte d’un cancer terminal lorsqu’elle a tourné cette série de séquences au téléphone. Ce n’est donc pas seulement l’adieu à Twin Peaks, mais peut-être carrément au cinéma de Lynch, symbolisé par la disparition d’une de ses plus anciennes collaboratrices. En effet, Coulson fut son assistante sur son premier film, Eraserhead, et l’épouse de son acteur principal, Jack Nance (lui aussi présent dans Twin Peaks, saison 1 et 2). Entre parenthèses, une des comédiennes d’Eraserhead, Charlotte Stewart, est aussi une familière de Twin Peaks. Elle joue Betty Briggs (femme du major et mère de Bobby), celle qui prononce la phrase “This is the chair”. Bref, un épisode frustrant par son hétérogénéité. Un peu de ci, un peu de ça…
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https://www.youtube.com/watch?v=aAIXCSznv2U
Phillip Jeffries nous parle
Presque chaque séquence offre un aperçu un peu trop rapide d’une situation donnée. On pourrait déplorer ce coq-à-l’âne incessant, si ce principe ne fonctionnait pas si bien lors de deux longues séquences, qui condensent les options les plus extrêmes du cinéaste : une béatitude presque enfantine et une terreur sans nom. D’abord une jolie roucoulade très soap opera entre Ed et Norma, les vieux amants enfin réunis. Aussitôt après, la plongée d’Evil Cooper dans un espace parallèle et insondable figuré par le convenience store maudit, situé au-dessus d’un vieux garage. C’est là que Coop va enfin rencontrer Philip Jeffries – ce qu’on attendait un peu –, mais pas en chair et en os – ce qu’on attendait aussi (étant donné que Bowie, lui, a été attrapé trop vite par la mort). La solution choisie par Lynch pour le figurer est à la fois élégante et facile. Cette séquence est un sombre joyau, qui fait encore une fois regretter que Lynch n’ait jamais tenté de réaliser un vrai film d’horreur. Ce passage prouve en tout cas que s’il y a un cinéaste fidèle à lui-même c’est bien lui.
https://www.youtube.com/watch?v=xUlgp24JH90
L’esprit de The Grandmother
La longue traversée d’une maison sombre et glauque où Coop est guidé par l’un des maléfiques bûcherons noirs, et en particulier la lente ascension d’un escalier semble presque calquée sur une séquence d’un court métrage que le cinéaste tourna à 22 ans, The Grandmother (1970), qui était en soi un petit chef d’œuvre d’angoisse. Ce qui saisit le plus ici ce sont les glissements entre la réalité pseudo-objective et une autre dimension dont Evil Cooper est un des passeurs. Sortant du convenience store, Evil Coop rencontre un de ses disciples potentiels venus de Twin Peaks, Richard Horne, qui suggère de façon charmante que l’agent du FBI pourrait être son père, tout en confirmant qu’Audrey Horne est bien sa mère. On revoit encore cette dernière, d’ailleurs, toujours aussi exaspérée, qui continue à faire du surplace depuis sa réapparition. Quant au reste, il y a un peu de tout et de rien, et en particulier une séquence qui prélude à une nouvelle métamorphose (possible) de Dougie Jones, où l’on rappelle en passant l’origine du nom Gordon Cole (tiré de Sunset Boulevard de Billy Wilder, film fétiche de Lynch). Il y a aussi la belle crise de nerfs d’une jeune Chinoise éjectée de son siège pendant le concert du Bang Bang Bar. Son hurlement couvrant la musique est également synchrone avec l’esprit de The Grandmother dont les héros primitifs s’exprimaient par borborygmes et par cris. Mais l’effet est de courte durée. Là encore c’est coitus interruptus et compagnie…
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