Alors que la première saison de « True Detective » vient de s’achever sur HBO, récap du huitième et splendide épisode final.
Au seuil du huitième et dernier épisode, nous sommes finalement entrés dans la maison du monstre, le vrai, celui que les true detectives Cohle et Hart auront passé dix-sept années plus ou moins linéaires, plus ou moins cauchemardesques, à traquer sans vraiment savoir qu’ils le cherchaient. Errol Childress, c’était lui, a fini avec une balle dans la tête au moment où il s’apprêtait à rajouter les compères au bout du rouleau à la liste de ses victimes terrifiées. C’était un grand mec d’une infamie totale, à la hauteur des figures effrayantes que la série nous a forcé à regarder – on se souvient de la fin de l’épisode 3 et de Reggie Ledoux, l’homme au masque à gaz, aux tatouages et au slip ridicule. Dans la maison cradingue où il vivait incestueusement avec sa probable demi-sœur attardée, Childress (aka l’homme au cicatrices et aux oreilles vertes) entreposait le cadavre momifié de son père qui le maltraitait, Psychose style – même si La Mort aux trousses passait sur sa télé, comme pour mettre le bordel dans notre tête en termes d’exégèse hitchcockienne.
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Cette petite boutique des horreurs aurait tout aussi bien pu nous faire doucement rire, avec son air de déjà vu maléfique. Mais True Detective a conservé jusqu’au bout sa capacité à proposer un angle nouveau sur un terrain déjà foulé par d’autres, en réveillant nos peurs primales au passage, comme on soulève le tapis de la conscience. Cet ultime épisode (avant la deuxième saison qui proposera de nouveaux personnages et une nouvelle intrigue) restera comme tout autre chose qu’une banale conclusion à une enquête. Celle-ci contient d’ailleurs encore des zones d’ombre : la grande révélation attendue sur un complot de grande ampleur n’a pas eu lieu. L’important n’était pas dans le compte boutiquier des lignes narratives laissées en friche, qu’appellent parfois de leurs vœux les spectateurs en quête de fins « satisfaisantes ». L’important n’était pas non plus vraiment le monstre, mais sa capacité à révéler le monde, comme dans un conte. De ce point de vue, nous avons été servis.
L’un des plus beaux moments de télévision qui soient (peut- être au-dessus du plan-séquence de la fin de l’épisode 4), voilà comment, à chaud, on aimerait crier notre amour pour le petit quart d’heure passé dans les pas de Cohle et Hart chez l’innommable meurtrier. Quand Rust part d’un côté et Marty de l’autre pour sillonner le périmètre, une séquence totalement folle commence, où le suspens traditionnel se double d’une entrée progressive dans les rives du fantastique. Rust, dont on connaît depuis le premier épisode les troubles de la perception (ces fameuses visions qui ont commencé après la mort de sa petite fille) est évidemment le seul à entendre la voix du monstre qui l’attire vers la matrice. Il pénètre dans sa tanière, un genre de labyrinthe cauchemardesque où lumières, bruits, arbres et objets forment un pur espace mental. Nous sommes entrés dans « Carcosa », là où Errol Childress a conduit ses meurtres rituels. Mais aux yeux de Cohle, cela pourrait tout aussi bien être, à défaut du Paradis, tout au moins un lieu où il dialogue en paix avec ses visions. Un mausolée, un utérus, une planète inconnue.
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Juste avant de goûter au couteau que lui plante le serial killer (en lui ordonnant pas si mystérieusement : « enlève ton masque »), Rust voit carrément une petite galaxie apparaître au-dessus de lui – on pense à la fin sublime et métaphysique de The Abyss (1989) de James Cameron. Plus tard, quand Marty, également blessé, s’approche de son binôme, la lumière d’une fusée de détresse lancée dans le ciel illumine les deux hommes qui n’ont jamais été aussi proches, achevant de donner à cet épisode totalement planant une force poétique incroyable. L’essentiel a eu lieu. Inutile de faire mourir Rust ou Hart. Ils ont flirté avec l’au-delà, le monde s’est déplié sous leurs yeux, laissons les respirer. Ils finiront amis et cabossés à vie. Ce « happy ending » n’a rien d’une concession à une quelconque norme du récit hollywoodien, mais tout d’un geste artistique cohérent. Dans les dernières minutes belles et apaisées, Cohle résume l’affaire avec une tirade dont il a le secret (et qui fait suite à beaucoup d’autres) : « Il n’y a qu’une histoire… La plus vieille de toutes… La lumière contre les ténèbres… ». Il ajoute ensuite que la lumière pourrait bien avoir commencé à gagner du terrain. Le pessimiste chronique entrevoit le bout du tunnel. Le plan final sur le ciel dure le temps qu’il faut à nos yeux pour s’habituer au scintillement des étoiles.
C’était donc cela, True Detective : raconter une histoire fondamentale, toujours la même, nous prendre par la main pour qu’elle soit éprouvée de fond en comble. C’est à cela qu’ont servi les boucles temporelles fulgurantes, les mensonges, les meurtres affreux, les femmes objets, les coupes de cheveux bizarres, les illuminations en tous genres, les canettes de bière, et même le seul épisode raté, le sixième. Au bout du compte, la série a su créer un monde d’une ampleur magistrale, rejoignant probablement sans le soupçonner une modernité cinématographique pointue (celle d’Apichatpong Weerasethakul, palme d’or avec Oncle Boonmee en 2011) en malaxant ensemble les hommes et les cieux, le passé et le présent, les morts et les vivants. Dans un registre plus concret, cette éclatante réussite donnera peut-être envie aux chaînes d’Amérique et d’ailleurs de multiplier les séries « bouclées », en les confiant à une équipe créative totalement libre. Si le plus beau duo de True Detective était celui formé par Matthew McConaughey et Woody Harrelson, le scénariste Nic Pizzolatto et le réalisateur Cary Fukunaga ont peut-être créé un précédent en gardant la main sur l’ensemble des épisodes. Ils ne seront malheureusement pas réunis pour la deuxième saison, Fukunaga devenant producteur exécutif, mais on attend ceux qui les prendront pour modèles. Cela en vaut la peine : visuellement et narrativement, True Detective a tutoyé les sommets.
Olivier Joyard
Sur OCS City et OCS Go.
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