La nouvelle série HBO touche (malheureusement) déjà bientôt à sa fin. Récap de son cinquième épisode, toujours aussi captivant.
Après un épisode de mi-saison déjà mythique, ponctué par un plan- séquence de six minutes qui sera probablement étudié à la Femis jusqu’en 2040, True Detective se devait de ne pas décevoir les accros à son atmosphère poisseuse et à ses mystères métaphysiques. L’affaire est réussie avec The Secret Fate of All Life, qui correspond au portrait robot de ce qu’on appelle dans le jargon sériephile un épisode de transition – mais en version radicalement nouvelle. Ou comment respecter les règles tout en sachant les subvertir.
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Dans les premières minutes, revoilà donc Rust Cohle (Matthew Mc Conaughey) et Marty Hart (Woody Harrelson) sur la piste de Reginald Ledoux, le serial killer présumé, déjà entraperçu à la fin du troisième épisode. L’occasion pour True Detective d’imposer de manière définitive son art du détournement. Alors qu’il était possible d’imaginer que la traque occuperait le reste des huit épisodes, elle se termine dès maintenant avec l’assassinat du « monstre » par Hart et celui de son complice par Cohle, dans une ferme isolée où ils détenaient deux enfants. Le plus intéressant, pourtant, n’est pas le résumé de ce qui s’est passé. Plutôt la différence entre le récit que font les compères a posteriori en 2012 et les images de cette journée de 1995. Reprenant un motif déjà effleuré dans l’épisode précédent, Rust et Hart mentent, cette fois dans les grandes largeurs, expliquant que les criminels les ont attaqués, ce qui n’est pas le cas. Ils souhaitent évidemment maquiller leur « bavure ». Effet troublant, la scène est d’abord montée comme si les deux hommes disaient la vérité, avant que les images ne commencent subtilement à entrer en décalage avec leurs paroles. Une désynchronisation a lieu en direct, le ver est dans le fruit. Dans True Detective, pour l’instant, seule l’image ne ment pas, les hommes ont succombé à la tentation. Fin du premier chapitre de la série.
L’impression de la clôture d’une histoire se renforce quand au milieu de l’épisode intervient un flashforward de plusieurs années. C’est désormais clair, après le meurtre de Ledoux, une nouvelle série commence sur les peaux mortes de l’ancienne, à la fois dans ses enjeux (comment faire confiance à ces deux héros qui mentent ?) et dans sa temporalité. L’année 2002 entre en piste. Même si Cohle nous prévient à la suite de Nietszche de l’Eternel Retour que « le temps est un cercle plat« , un changement de perspective est survenu.
Les uns et les autres vieillissent dans quelques impressionnantes séquences malickiennes, où les petites filles de Marty deviennent adolescentes en un clignement d’œil. Ce qui pourrait prendre plusieurs épisodes, voire quelques saisons ailleurs, se voit ici résumé en une dizaine de minutes splendides – si on excepte les interventions de la femme de Hart (Michelle Monaghan) lors des conflits familiaux, son personnage restant, de loin, le moins intéressant de la série. Alors que Marty s’empêtre dans de nouveaux soucis de père de famille, Rust, de son côté, se trouve une petite amie. Même si on apprend qu’elle a duré « quelques années », à l’écran, leur histoire passe en un coup de vent – y reviendra-t-on ? C’est la beauté et la tragédie de True Detective que de malaxer le destin des hommes entre lenteur et subites accélérations. Comme nous, ils ne voient jamais rien venir.
Après l’avoir cru sur une pente ascendante, on comprend que Cohle a probablement perdu pied – après tout, il devait bien y avoir une raison à sa coupe de cheveux douteuse de 2012. C’est ce qu’imaginent les policiers qui mènent les interrogatoires, dont on comprend enfin l’utilité après cinq heures de fiction bien tassées : ils soupçonnent le personnage incarné par Matthew McConaughey d’être passé de l’autre côté, d’avoir manipulé ses enquêtes pour parvenir à ses fins – mais lesquelles ? A leurs yeux, ce mec sec et brillant a la gueule d’un suspect. Reginald Ledoux n’était probablement pas celui que toute la Louisiane craignait, peut-être une illusion, un second rôle dans le grand roman tordu imaginé par le tueur – qui a désormais un nom : Yellow King (Le Roi Jaune).
Dans la dernière séquence, quand Cohle se promène seul dans une église abandonnée et trouve une structure en bois dont on sait qu’elle est associée aux meurtres qui ont sans doute repris, il enfile des gants et l’observe, captivé. Il est sans doute en train d’enquêter seul (d’où les gants). Ou peut-être fait-il semblant. Jusqu’à présent dans True Detective, l’image n’a jamais menti. Mais pour combien de temps ?
Olivier Joyard
True Detective. Sur OCS City et OCS Go.
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