On a tellement aimé la série événement de HBO “True Detective” qu’on a décidé de la chroniquer épisode par épisode. Morcelé, explosif et cinégénique, trois mots-clés de ce quatrième épisode.
Après une semaine de pause due au Superbowl et un cliffhanger qui avait largement de quoi nous faire cauchemarder pendant toute cette période et plus encore (la vision effrayante d’un homme, Reginald Ledoux, censé être le tueur en série recherché par les héros), True Detective est revenue cette semaine. Nous étions préparé à rencontrer le diable. Cela n’est pas arrivé. Cette image lointaine et traumatique d’un homme en slip blanc portant un masque à gaz et agitant une machette n’était peut-être qu’une prémonition. Elle devrait revenir un jour, mais qui sait ? Dans le monde déceptif et tortueux de True Detective, le temps est un personnage comme les autres. Insaisissable, il se transforme, s’étire et n’en fait parfois qu’à sa tête. Délaissant la linéarité, la série a adopté de manière de plus en plus radicale une narration parcellaire, au-delà même de sa construction entre deux époques, 1995 et 2012. Cet épisode en forme de retropédalage fascinant a démontré la maîtrise toujours plus fine de leurs effets par la paire Nic Pizzolatto (scénariste) et Cary Fukunaga (réalisateur).
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Pendant les trois quarts de Who Goes There, les principales avancées du récit ont concerné la vie privée de Marty Hart, dans la peau duquel Woody Harrelson fait toujours plus de merveilles. Ce que l’on pressentait depuis le début s’est pleinement confirmé. Au fur et à mesure que la saison avance – nous avons désormais atteint la moitié -, son personnage d’abord moins flamboyant a pris une ampleur qui le rapproche en termes d’intensité de son collègue Rust Cohle (Matthew McConaughey). Il a suffi de le voir s’effondrer quand sa femme lui a laissé une lettre pour dire bye bye sans autre forme de cérémonie. Sa médiocrité lui est revenue à la figure et rien ne pourra apparemment l’en consoler, surtout pas d’habiter avec son collègue.
Pendant ce temps, Cohle a abandonné provisoirement ses grandes tirades philosophiques et avancé dans l’enquête sur Reginald Ledoux. L’occasion de belles scènes désynchronisées – peut-être le mot clef de la série – où l’un (Marty) pense à sa vie déchirée avec mélancolie, tandis que l’autre (Cohle) se concentre sur un possible aboutissement de son enquête sur le tueur en série. A cette occasion, pour la première fois de manière aussi franche dans True Detective, un mensonge a lieu. En 2012, Cohle explique aux enquêteurs qu’il a pris un congé sans solde pour aller au chevet de son père malade d’une leucémie. Une affirmation réfutée à la fois par les archives et par ce que ce que l’on voit de 1995. Rust Cohle, plutôt que d’aller voir son père, reprend langue avec d’anciens contacts chez les voyous, du temps où il travaillait comme flic infiltré dans les milieux narcos. A quoi sert ce mensonge, que Marty Hart reprend aussi à son compte ? Sans doute à cacher un dérapage, une erreur, un secret sanglant.
C’est ce que suggère la fin magistrale de l’épisode. Cohle renoue avec un gang de bikers sans foi ni loi, les Iron Crusaders, censés travailler avec Reginald Leroux qui leur fournit de la drogue. Pour regagner la confiance de ces types hirsutes, il doit participer à une virée dans un ghetto pour récupérer des paquets de poudre. Allons-nous pénétrer subitement dans un épisode de Sons of Anarchy ? Pas vraiment. S’il fallait trouver une comparaison, on penserait plutôt à un film de Michael Mann circa années 2000. Dans une semi-obscurité permanente, Cohle arpente des lieux interlopes avec ses acolytes qui ne se doutent toujours pas de son identité de flic. La caméra numérique plane et ausculte les visages tendus. Bientôt, elle se met en mouvement de manière beaucoup plus rapide, au moment précis où la virée tourne au cauchemar. Elle ne s’arrêtera plus, offrant à la série l’un de ses morceaux de bravoure et un shoot de linéarité, une portion « en direct » dans un univers où tout est morcelé.
Le résultat est paradoxalement encore plus proche d’un rêve. Pendant six minutes, un plan-séquence suit Rust Cohle à la trace, alors qu’il cherche à fuir avec l’un des membres du gang – il a besoin de lui pour récupérer l’adresse de Ledoux. D’une brutalité et d’une précision incroyables, ces six minutes devraient donner du grain à moudre pour quelques années supplémentaires à ceux qui pensent que cinéma et télévision ne sont plus aujourd’hui que les deux faces d’une même pièce. Serge Daney l’écrivait déjà, dans des circonstances certes très différentes, dès 1982 : « Comme tous les vieux couples, cinéma et télévision ont fini par se ressembler ». La frontière, en tous les cas, semble un peu plus floue. Ce final de l’épisode 4 de True Detective devrait marquer le genre pour longtemps.
Olivier Joyard
True detective. Sur OCS City et OCS Go.
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