On a tellement aimé la série événement de HBO “True Detective” qu’on a décidé de la chroniquer épisode par épisode. Cette semaine le troisième volet, et (déjà) le bilan d’un tiers de la saison.
A la fin de cet épisode, le tiers de la première saison de True Detective sera derrière nous. Ce genre de réflexion légèrement mélancolique hante l’amateur qui s’installe devant son écran et se demande comment il pourra se passer bientôt de l’une des seules séries immédiatement fascinante née depuis des lustres. La chanson du générique, signée The Handsome Family, un groupe de country indie basé à Albuquerque, est désormais entrée dans toutes les têtes. Digne des balades tardives entêtantes de Johnny Cash, cette musique est devenue l’hymne spectral de nos nuits. La série lui ressemble, vénéneuse mais angoissante, remplie de promenades indécises et de rêves éveillés. Nous sommes désormais familiers de cette succession d’errances où l’on croise, de plus en plus épars, des morceaux déchirés d’Americana. Une terre symbolique, iconique et primitive qu’arpentent dans ses recoins les plus inquiétants Marty Hart (Woody Harrelson) et son partenaire Rust Cohle (Matthew McConaughey), l’homme qui ne dort jamais.
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Ce troisième épisode intitulé « The Locked Room » confirme une sensation claire depuis le début de la série. Venu du monde littéraire (il a longtemps été prof de lettres et a signé un premier roman, Galveston, paru chez Belfond en 2011), le scénariste Nic Pizzolatto sait exactement où il veut en venir. Mais il se laisse le temps de flâner dans les contours de l’intrigue. Il aime regarder ses personnages s’ébrouer dans les paysages, les contempler en train d’asséner quelques grandes vérités sur l’existence. Parfois, True Detective quitte sa peau de thriller atmosphérique (pour rappel, les deux hommes enquêtent sur un serial killer) et devient un genre de « buddy movie » philosophique entre deux types qui ne s’aiment pas trop. L’un, Cohle, semble étouffé par sa propre intelligence et ses fulgurances poétiques, tandis que l’autre, Hart, tente de garder son cap rationaliste tout en réglant ses problèmes avec de femmes. Qui est le plus malheureux ? Qui est le plus dangereux ?
A certains moments, la manière qu’a la série de jouer avec le spectateur devient aussi jouissive qu’un peu surplombante. On se surprend à penser qu’il n’en faudrait pas beaucoup pour que True Detective ne devienne franchement prétentieuse, comme absorbée par sa propre ambition, voire aveuglée par la beauté qu’elle seule paraît capable de créer. Un problème de riche, bien sûr. Car le trouble persistant instauré par les aller-retour entre 1995 (l’enquête sur le serial killer) et 2012 (les interrogatoires séparés des deux anciens partenaires) remet vite les idées en place. La majesté narrative de la série nous reprend toujours dans ses griffes. Au pire, en cas d’ennui poli, on notera quelques phrases de dialogue à méditer plus tard. Notre top 3 de l’épisode 3 ? 1. « Le visage que vous arborez n’est pas le vôtre » 2. « L’erreur ontologique de croire qu’il y a une lumière au bout du tunnel… » 3. « Ce monde est un voile ».
Pour régler définitivement le problème et reconnaître la grandeur de True Detective, les derniers instants de cet épisode comptent triple – au moins. Vous savez de quoi je parle. Cette image s’est imprimée comme un cauchemar impossible à décoller de votre rétine. Rappelons le contexte de son apparition anxiogène. Les deux détectives pensent avoir identifié celui qu’ils cherchent dans une ferme isolée et s’apprêtent à donner l’assaut. Des photographies de jeunes filles assassinées viennent de nous être infligées. « Dans la vie, on rêve d’être une personne. Comme dans tous les rêves, un monstre surgit à la fin », a murmuré Rust Cohle, interrogé en 2012.
Retour en 1995. Filmé de loin, voici Reginald Leroux, le présumé tueur en série. L’homme marche sans se presser. Vêtu d’un slip, il porte un masque à gaz et agite nonchalamment ce que l’on identifie comme une machette. Le plan se fige au moment où ce garçon à la fois ridicule et terrifiant regarde dans notre direction.
En une poignée de secondes, la série vient de connaître son premier coup d’accélérateur narratif majeur. Surtout, elle vient de nous ramener à notre condition d’enfant-spectateur, effrayé par l’apparition du Croque- mitaine. True Detective ou les vertiges du conte.
Olivier Joyard
True Detective. Sur OCS City le lundi à 20h55 – disponible également sur OCS Go. Prochain épisode le 10 février.
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