Avec la troisième saison de Mafiosa, Eric Rochant ancre la série dans la culture sociale et politique de la Corse. Ses personnages y gagnent en intensité dramatique.
Violence, sexe, night-clubs, malfrats, braquages, armes à feu, corps fiévreux… : le paysage de la série française dessiné par Canal+ depuis plusieurs années se développe à partir de motifs récurrents. De Pigalle à Engrenages, de Braquo à Maison Close, la chaîne déroule les codes de la série noire, chaude et virile.
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Mafiosa, créée par Hugues Pagan, s’inscrit au coeur de ce territoire balisé et cohérent, tout en inventant son particularisme à l’intérieur de « l’écriture » Canal+ mais aussi à l’intérieur de sa propre histoire. La troisième saison, écrite et réalisée par Eric Rochant, creuse de ce point de vue l’écart entre ses principes fondateurs et les horizons vers lesquels elle évoluait dès la saison 2.
Le réalisateur des Patriotes radicalise ici le tournant réaliste qu’il veut, avec son coauteur Pierre Leccia, conférer à la série. Le souci du réalisme s’incarne dans un récit ancré dans la matière sociale et culturelle de la Corse d’aujourd’hui. Où les clans nationalistes se mêlent, de près ou de loin, aux activités de purs voyous locaux.
Des antihéros absolus
La troisième saison s’arrime à ce point de tension entre les acteurs de la culture insulaire qui en agissant aux marges de la légalité occupent le centre des intérêts locaux. Le fil de la saison 3 tourne autour du conflit qui oppose Sandra la chef du clan Paoli (Hélène Fillières, classieuse) aux nationalistes à propos d’un projet foncier, ainsi qu’à son frère (Thierry Neuvic, solide dans le rôle du chef retors).
Pour rendre plus crédible une héroïne qui n’existe pas dans la réalité corse patriarcale, les auteurs ont ciselé les traits des personnages qui entourent Sandra, comme si les forces qui gravitent autour d’elle pouvaient l’éclairer en miroir.
Ses deux hommes de main, Tony et Manu, croustillants dans leur rôle de vauriens bas du front, son partenaire en affaires Moktar (JoeyStarr, convaincant en caïd de la drogue) et surtout son nouvel amant, Nader (lumineux Reda Kateb, animal gracieux, qui crève l’écran avec sa sauvagerie érotique, révélation de cette saison).
Perdant le contrôle des affaires, recluse dans sa forteresse, où elle ne rêve que du corps de son voyou échevelé, l’héroïne, à la dérive, n’en est que plus troublante.
La Corse, un personnage à part entière
Par-delà le scénario, le souci du réalisme s’incarne aussi dans la mise en scène. L’histoire de Mafiosa ne pouvait se dissocier de sa géographie. Tournée pour l’essentiel en décors naturels, la série capte les lumières, les ambiances et les visages de l’île.
A l’image du beau générique – un travelling avant sur les routes de montagne, proche de celui du film de Depardon, La Vie moderne -, la Corse est plus qu’un paysage, elle devient personnage à part entière, comme Baltimore l’était dans The Wire ou le New Jersey dans Les Soprano.
Dépouillé de tout cliché folklorique, le regard de Rochant se concentre sur des « gueules », qui sous un ciel ombrageux racontent quelque chose de l’âme perdue d’un pays de petits caïds.
La mise en scène, très découpée, opte pour un foisonnement des plans, tournés à deux caméras. Mais le montage énergique est compensée par une impression de grande tranquillité qui insuffle tous les plans, posés, en dépit des saillies violentes qui les traversent.
Rochant s’attache autant à filmer le quotidien banal de voyous ordinaires, drôles malgré eux (regarder le foot à la télé, manger un ragoût, mater les filles…) qu’à consigner leurs moeurs de héros vils et sauvages.
Le cadre romanesque de Mafiosa s’efface ainsi sous le poids d’un regard quasi ethnographique porté sur des antihéros absolus dont Rochant capte l’énergie nihiliste qui ne mène qu’à la mort et au sacrifice.
Mafiosa saison 3, série de 8 épisodes réalisée par Eric Rochant. Tous les Lundi, à partir du 22 novembre à 20 h 50, Canal+
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