Depuis sa sortie dans le courant du mois d’Aout, la saison 2 de Mindhunter nous hante. Avant que les fantômes de la série ne nous quittent complètement, nous avons voulu dresser un bilan de cette exceptionnelle seconde saison.
Mise en ligne par Netflix au cœur du mois d’août, la deuxième saison de Mindhunter circule encore sur toutes les lèvres sériephiles. Comme un poison lent et envoûtant, elle n’a pas encore fini sa course. Quand la tendance générale favorise l’accélération et le binge en un week-end, la série créée par Joe Penhall – mais réellement drivée par David Fincher, d’autant que le créateur a été écarté pour ces nouveaux épisodes – impose son rythme décalé, sa lenteur inquiète, ses nappes d’images obsédantes. A tel point qu’on peut déjà la revoir sans se lasser. Voici donc nous trois raisons de la voir ou de déjà s’y replonger.
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Parce qu’elle est encore meilleure que la première
La première saison racontait la formation de l’unité de sciences du comportement du FBI en 1977, avec une poignée d’hommes et une femme tentant de pénétrer dans la tête des criminels les plus violents pour mieux cerner leurs motivations, inventant au passage le terme serial killer. On y trouvait déjà une manière de sonder l’extrême noirceur humaine dans ce qu’elle a au fond de plus banal et mécanique. La relation étouffante entre le petit génie de l’interrogatoire Holden Ford (Jonathan Groff) et le mastoc découpeur Ed Kemper (Cameron Britton), un tueur en série qui finissait par le mettre littéralement à genoux, fascinait de bout en bout. Mais dans cette nouvelle saison, Mindhunter fait encore mieux. Débarrassée des contraintes de l’exposition, la série peut rouler à tombeau ouvert et trancher directement dans la chair fictionnelle qui l’intéresse.
L’apparition d’un nouveau boss beaucoup plus favorable à l’équipe – il leur offre des bureaux décents, loin du cagibi auquel ils et elle avaient droit jusqu’à présent – sonne comme le signal d’une libération. La série n’a plus besoin de remplir un cahier des charges : elle peut se déplacer, s’inventer en direct, tenter des pas de côté. Une envie traduite par l’apparition d’une enquête prenant peu à peu toute la place à partir de la mi-saison : la traque d’un tueur d’enfants noirs dans la moiteur d’Atlanta. La douleur et l’errance ne font que commencer.
Parce que Fincher retrouve les sommets obsessionnels et mélancoliques de Zodiac
Ce choix de mettre en avant une investigation a priori relativement classique à l’ère où le genre policier cartonne et parfois nous laisse totalement de marbre (surtout dans les séries françaises) n’apparaît pas comme le signe d’un renoncement de la part de David Fincher. Au contraire, le cinéaste touche dans ces épisodes au cœur même de son travail : moins une obsession pour la violence des tueurs en série – même si Se7en et Zodiac pouvaient en donner l’apparence – qu’un désir de scruter l’art difficile et mélancolique de la quête, à la fois collective, intime et fortement existentielle.
Dans le superbe épisode 5 réalisé par Andrew Dominic, la scène où apparaît Charles Manson incarne avec brio l’équation brutale à résoudre. Le gourou sanguinaire mène Holden Ford et son compère en bateau. Il se livre à un brillant exercice de prestidigitation qui éclaire leur impuissance à faire plier la réalité, cette bête sans sentiments. Mais le véritable adversaire des héro.ïne.s de Mindhunter et de la plupart des figures « positives » du cinéma de David Fincher, c’est le temps, ce monstre froid qui épuise à coup sûr corps et âme. Zodiac suivait la traque d’un psychopathe pendant plusieurs décennies à San Francisco, dans les pas de plus en plus fatigués d’un journaliste et d’un flic. La défaite comme quotidien, le temps pour rien, la lente dissection psychologique : voilà ce qui faisait l’essentiel de leurs vies. On retrouve ici ce schéma qui obsède Fincher et qu’il a les moyens de déployer comme jamais. Même quand il ne se trouve pas derrière la caméra – il n’a réalisé que les trois premiers épisodes de cette saison -, son souffle reste présent.
Surprise, cependant, le personnage le plus fincherien n’est pas forcément le jeunot Holden Ford mais son collègue plus âgé, l’incroyable Bill Tench (Holt McCallany). Rien ne nous est épargné des innombrables et épuisants déplacements que celui-ci s’inflige entre Atlanta et chez lui, à Washington, où il doit gérer une affaire pour le moins anxiogène impliquant son très jeune fils et mettant en danger son couple. La violence ne s’arrête jamais aux actes eux-mêmes (d’ailleurs, Mindhunter n’en montre quasiment pas frontalement) mais elle se répand comme un virus qui épuise celles et ceux qui se penchent dessus. La tristesse du regard de Bill Tench, même quand l’affaire d’Atlanta semble résolue, s’inscrit longtemps en nous.
Parce que Mindhunter 2 boucle en beauté une décennie qui a changé les séries
De manière assez étonnante, David Fincher aura marqué les années 2010 par son arrivée dans les séries plus qu’au cinéma – malgré le très beau The Social Network qui a ouvert la décennie. D’ailleurs, l’auteur de Benjamin Button n’a plus réalisé de film depuis Gone Girl en 2014. Si la première saison intéressante de House of Cards lui avait servi de galop d’essai, c’est vraiment aujourd’hui qu’il s’empare de l’objet séries avec le plus de raffinement. Au moment où le genre arrive peut-être à saturation après la montée en flèche des plateformes de streaming, le quinquagénaire remet les pendules à l’heure. A la fois maîtrisée et surprenante, cette deuxième saison ne regarde jamais le genre de haut – ce fameux complexe de supériorité du cinéma… – contrairement à ce qu’on a pu voir il y a encore quelques mois avec la pesante Too Old to Die Young réalisée par un autre cinéaste star, Nicholas Winding Refn. Surtout, Mindhunter possède ce don unique de rassembler les anciens (relatifs) et les modernes.
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Par son rythme délité mais captivant, son désir de faire vivre des personnages compliqués en prenant le temps de les regarder, son attention aux détails qui n’en sont jamais vraiment, sa volonté d’accepter les temps morts, d’inspecter les regards et les lieux pour qu’ils s’impriment sur nos rétines, bref, dans sa manière de sublimer les fondamentaux sériels du nouveau siècle, Mindhunter se place dans les mêmes eaux que certains classiques des années 2000 aujourd’hui détrônés – Mad Men, Breaking Bad. Même si elle ne traite évidemment pas des mêmes sujets et colporte un toute autre imaginaire que ses devancières, cette approche de la fiction est devenue rare.
Mais nous sommes aussi face à une série on ne peut plus contemporaine, qui en plus d’utiliser à fond l’élasticité du médium que permet le streaming, se saisit avec pertinence des enjeux sociaux et politiques de l’époque. La façon dont les épisodes situés à Atlanta – et pour la plupart confiés au cinéaste noir Carl Franklin, auteur culte d’Un faux mouvement en 1992 – résonnent avec d’autres fictions de l’année comme Dans leur regard d’Ava Duvernay, finit par rendre Mindhunter indispensable. Il s’agit bien de l’une des séries les plus importantes en cours, que la fin en queue de poisson de la saison, pensée comme un coup d’arrêt presque cruel dans le flux, achève de rendre magistrale. Et ce n’est que le début. Même si ce n’est pas confirmé à l’heure actuelle, David Fincher aurait demandé aux comédien.ne.s de se tenir prêt à endosser leurs rôles pendant cinq saisons. Tout le monde va avoir besoin de café.
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