Dans un futur proche, 80% de la population est au chômage. Portée par cette idée forte, la nouvelle grosse production d’Arte « Trepalium » propose une reflexion intéressante sur les dérives du capitalisme, mais souffre d’un manichéisme accentué par une mise en scène glaciale.
Le thème de la science-fiction à la télévision française est un terrain aussi vaste qu’inexploré. A peine a-t-il été défriché, entre 2012 et 2015, par les Revenants de Canal+, qui utilisaient un postulat fantastique pour développer une réflexion sur l’attachement et le deuil. Arte s’est finalement engouffrée dans la brèche, en développant sa superproduction Trepalium, série dramatique d’anticipation en six épisodes de 52 minutes.
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Pour rentrer dans le budget correct mais pas mirobolant (compter 500 000 euros par épisode soit quasiment autant que pour la beaucoup plus sobre Ainsi Soient-Ils), il a fallu redoubler d’ingéniosité. Le siège parisien du Parti Communiste, avec ses escalators à perte de vue et son grand dôme futuriste designés par Oscar Niemeyer, a ainsi été filmé par le réalisateur belge Vincent Lannoo dans les moindres recoins et sous tous les angles imaginables. Une parade efficace aux fonds verts dont l’omniprésence a tendance, à la longue, à devenir étouffante.
Les dérives du capitalisme exacerbées jusqu’à l’absurde
Dans cette dystopie glaciale, les chômeurs — qui représentent 80% de la population — sont séparés des « actifs » par un mur immense, qui semble tout droit sorti de la saga des Hunger Games. Pour appuyer une réflexion sur la place du travail dans notre société, les scénaristes Sophie Hiet et Antarès Bassis ont choisi d’exacerber les dérives du capitalisme jusqu’à l’absurde. Les sans-emplois sont condamnés à vivre dans une zone rongée par la pauvreté et la violence, où l’eau est une denrée si rare que ses habitants sont obligés de se droguer pour oublier la sensation de soif. De l’autre côté de la muraille, les actifs propres sur eux s’entretuent pour garder leur job au sein d’une multinationale toute puissante, Aquaville, et préserver leur train de vie morose et hygiéniste.
Trop hygiéniste ? C’est là que Trepalium peut manquer de subtilité. Etouffés par un univers extrêmement dense qui regorge de détails captivants, les personnages « actifs » peinent à nous toucher. La froideur de ces statues de cire devient gênante lorsqu’elle est perturbée par une violence très crue — Léonie Simaga, qui incarne à la fois une active et une sans-emploi, est maltraitée, violée, étranglée, torturée — dont la gravité est atrophiée par cette atmosphère robotique, où rien ne semble vraiment réel.
Trois épisodes diffusés par soirée
Les tensions entre le réalisateur et les deux co-scénaristes, écartés lors du tournage (alors que deux autres scénaristes avaient été appelés en « renfort » sur l’écriture), n’ont pas aidé à adoucir cet effet, comme l’a souligné à demi-mots Sophie Hiet à Télérama:
« L’idée de Trepalium, c’est de vous faire peu à peu réaliser qu’il y a une même souffrance des deux côtés du mur. La mise en scène a choisi de montrer la douleur des actifs immédiatement. Nous avions imaginé de la révéler plus progressivement. C’est un choix plus radical, peut-être rendu nécessaire par le très grand nombre de personnages. »
On trouve du réconfort dans l’humanité des sans-emplois, notamment chez la jeune sauvage incarnée par la méconnue Aloïse Sauvage, spontanée et touchante, qui hérite d’une des plus belles phrases de la série (« Tu m’émeus. Pourtant tu ressembles à pas grand chose, mais tu m’émeus »).
Malheureusement, Arte a choisi de diffuser les épisodes par « paquets » de trois épisodes de 52 minutes, regroupés sur seulement deux semaines. Le traitement, qui avait déjà été réservé à la troisième saison d’Ainsi Soient-Ils, fait l’objet de plus en plus de critiques. En octobre dernier, une tribune de l’Association des critiques de séries (dont plusieurs journalistes des Inrocks sont membres) résumait ainsi :
“N’est-ce pas du devoir de chaînes telles qu’Arte ou Canal+ d’essayer une nouvelle programmation, plus en adéquation avec non seulement l’écriture même des séries (qui, rappelons-le, ne sont pas de longs films !) mais aussi les nouvelles habitudes des téléspectateurs ? Vos fictions le méritent, votre public aussi !”
Trepalium, 6 épisodes, les 11 et 18 février 2016 à 20h30 sur Arte (disponible en replay)
[Erratum: une première version de cet article contenait la mention « parce que que deux autres scénaristes avaient été appelés en ‘renfort’ sur l’écriture », au lieu de « alors que deux autres scénaristes…« ]
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