Alors que la dernière saison de Treme, en cinq épisodes, est diffusée ce mois-ci, le créateur de cette radiographie de La Nouvelle-Orléans post-Katrina, David Simon, en dresse le bilan.
Treme se termine après une quatrième saison écourtée. Votre série The Wire avait duré un an de plus. Pas trop déçu ?
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David Simon – Après deux saisons de Treme, nous sentions qu’il était possible d’aller au bout de ce que nous voulions en quatre saisons. Mais HBO a jeté un oeil aux audiences et voulait arrêter dès la fin de la troisième. Je leur ai répondu que dans ces conditions il était impossible de suivre les personnages jusqu’au moment où leur existence allait devenir organique à l’écran… HBO nous a finalement donné de quoi mettre en boîte une demi-saison. Nous avons laissé certaines choses derrière nous. La télé est un business et offrir trente-cinq heures à une série qui n’attire pas une audience importante, c’est génial. Je suis à la fois reconnaissant et frustré.
Quelle était votre ambition pour conclure la série ?
Notre but était d’arriver jusqu’à l’année 2008. Celle de l’élection de Barack Obama, mais aussi de la crise financière. Les deux peuvent être liées. L’effondrement du système financier représente à mes yeux une allégorie de l’histoire que nous racontons avec Treme : un échec causé par l’homme. Les conséquences de Katrina ont éclairé l’état d’une ville et d’un pays. Nous n’avions pas affaire à une catastrophe naturelle, mais à l’une des plus graves erreurs d’ingénierie de l’histoire des Etats-Unis. La crise financière, survenue trois ans après le cyclone, a été provoquée par les mêmes calculs qui avaient poussé les gens à ne pas construire des digues assez solides à La Nouvelles-Orléans : faire croire que l’on peut faire passer de la merde pour de l’or, ne miser que sur le court terme, sans regarder les conséquences sur la durée. Le marché promettait de se réguler tout seul, le capitalisme tardif a promis beaucoup de choses, mais c’était des mensonges. La Nouvelle-Orléans a simplement découvert cela plusieurs années avant le reste du monde. Treme a raconté cette histoire : la survie à tout prix dans une réalité nouvelle, sans idéal, où chacun se retrouve seul.
Le premier épisode de la dernière saison a lieu le jour de l’élection.
La Nouvelle-Orléans étant une enclave très démocrate dans un Etat – la Louisiane – très républicain, l’élection de Barack Obama a apporté un espoir immense. A l’époque, j’étais un supporter d’Obama face à John McCain. Mais j’avais cette sensation (et je l’ai toujours aujourd’hui) que les problèmes rencontrés dans les pays occidentaux dépassent le fait d’élire la bonne personne. C’est désormais une question de système. Au point où nous en sommes, l’idée d’un homme providentiel capable de changer le cours de l’histoire me semble révolue.
Comment incarnez-vous cette colère politique dans la série ?
Si les personnages de Treme commençaient à parler comme je le fais, ce serait la fin de tout. C’est peut-être ma fonction d’exprimer mes idées, mais celle des personnages reste avant tout de vivre et de tenir leur place dans le monde. Je n’écris pas des pièces de Clifford Odets (dramaturge américain engagé de la première moitié du XXe siècle – ndlr) et c’est parfois une bataille. Rendre un monde fictionnel crédible, c’est du boulot, surtout quand on ne travestit pas complètement la réalité. C’est encore plus dur quand on ne se repose pas sur les béquilles habituelles que sont le sexe et la violence. Nous l’avons réussi avec Treme, j’en suis fier. Nous souhaitions montrer ce que représente la culture dans une ville américaine d’aujourd’hui, quand les grands idéaux ont été abandonnés. Pour incarner cela, nous n’avons eu qu’un moyen : montrer des Américains à un endroit et un moment particuliers, en train de mener leur vie…
Le but de Treme était donc de suivre le rythme de la vie, comme les meilleures séries le permettent ?
C’était notre ambition. Le problème ? Pas mal de gens refusent d’allumer la télé pour contempler la vraie vie. Ils préfèrent attendre le moment où quelqu’un ramasse un flingue. Je ne pourrai jamais retenir ces spectateurs-là. La télévision est une grande distraction et si on emprunte une autre direction, il faut assumer. Donc, j’assume. Pour rien au monde je n’aurais écrit sur les conséquences de Katrina avec un autre point de vue que celui de Treme. Ce n’est pas dans mes gènes de penser à ce qui va marcher.
Avez-vous des regrets ?
Le plus difficile a été de laisser derrière nous les personnages et l’univers fictionnel. Après quelques années, Treme a fini par ressembler à ce que nous voulions, thématiquement et esthétiquement. La fin a été légèrement abrupte mais nous l’avons maîtrisée. Maintenant que la série est terminée, peut-être que les gens vont se mettre à la regarder ! Personne ne matait The Wire et Generation Kill quand elles passaient à la télé. La plupart des gens se sont réveillés ensuite. J’ai un peu l’habitude de ce processus à contretemps. Cela ne me fera pas changer de méthode. Pour moi, l’histoire que l’on veut raconter dicte le contenu et la forme, il n’y a donc pas de formule. Je suis incapable de dire si The Wire est meilleure que Treme ou que Generation Kill, car je ne réfléchis pas de cette façon. Une histoire mérite d’être racontée, ou pas.
La scène musicale de La Nouvelle-Orléans va sûrement regretter Treme.
Chaque année, nous avons provisionné un million de dollars pour les droits musicaux. C’était super, car beaucoup de musiciens de la ville avaient tout perdu avec Katrina et tentaient de repartir du bon pied. Il y avait moins de clubs et il a fallu du temps pour qu’ils réapparaissent. Ce n’est pas pour cette raison que nous avons fait la série, mais c’est un à-côté assez heureux que d’avoir soutenu l’industrie musicale locale. Ils ont peut-être vendu quelques disques en plus grâce à nous.
Sur quoi allez-vous travailler maintenant ?
J’ai rendu un projet à HBO, qui va décider probablement avant Noël ce qu’elle souhaite en faire… Et je viens d’écrire une comédie musicale pour le théâtre, figurez-vous.
Vraiment ?
Oui, une comédie musicale sur les Pogues, avec leurs morceaux ! Garry Hines, la directrice du Druid Theater à Galway (Irlande), a lu la première version. Le spectacle pourrait être monté fin 2014 mais nous n’en sommes qu’au tout début. Je verrai bien si je continue la télé. Aujourd’hui, les règles de rentabilité qui étaient réservées aux networks (chaînes hertziennes financées par la publicité – ndlr) sont aussi valables sur le câble. Ces chaînes qui voulaient révolutionner la télé il y a dix ans ont fini par créer un socle sur lequel elles se reposent. Les valeurs de la télévision grand public (du rire à tout prix, du sexe et/ou de la violence) y ont été simplement traduites différemment. Je n’ai aucun problème avec le sexe et la violence, mais tout dépend du point de vue. Souvent, à la télé américaine, le récit se met au service du sexe et de la violence, rarement le contraire. Il reste de très bonnes séries, mais je sens que, d’une manière générale, les choses patinent.
Pensez-vous toujours avoir votre place à la télévision ?
Avec HBO, nous travaillons ensemble depuis presque quinze ans – The Corner a été diffusée en 2000. Il nous reste peut-être des choses à faire. Mais je dirais qu’il s’agit plus d’une question pour eux que pour moi.
Treme, saison finale chaque lundi de décembre sur OCS City
DVD les trois premières saisons sont disponibles chez Warner Home Video
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