La showrunneuse d’“Unorthodox” fait ici le récit en sept épisodes du sauvetage de 2 000 personnes menacées en France par le nazisme, dont de nombreux·ses intellectuel·les et artistes. Une fresque historique qui sait se montrer émouvante sans se départir d’une certaine légèreté de ton.
Faire de Max Ernst, André Breton, Peggy Guggenheim ou encore Walter Benjamin non pas des héros·oïnes de série, mais des personnages à part entière, avouons qu’on ne l’avait pas vu venir. Et sur Netflix, encore moins. Par la grâce du succès de sa précédente création Unorthodox, hit du printemps 2020 confiné sur l’échappée berlinoise d’une juive orthodoxe de New York, suivie d’un contrat signé avec la plateforme mondialisée via sa maison de production, la scénariste allemande Anna Winger revient ce printemps avec Transatlantique.
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Présentée en clôture du Festival Séries Mania 2023, cette minisérie s’intéresse à un aspect très particulier de la Seconde Guerre mondiale, entre Marseille et la frontière espagnole : la manière dont se sont organisés, entre 1940 et 1941, la fuite de France et donc le sauvetage de personnalités artistiques et intellectuelles, pour la plupart juives, menacées par le nazisme et la collaboration. Un récit tiré de faits réels, aussi romanesques que tendus, dans lequel la police française soumise aux nazis prouve toute son ignominie.
Mary Jayne Gold, de la haute société américaine à l’espionnage
Au centre des sept épisodes se trouve une jeune femme de la haute société américaine, Mary Jayne Gold, richissime jet-setteuse qui décida de donner un sens plus profond à son quotidien, profitant de l’argent paternel pour financer l’organisation marseillaise Emergency Rescue Committee (Comité de secours d’urgence) que dirige le journaliste américain Varian Fry, avec l’aide de Miriam Davenport.
L’originalité du scénario imaginé par Anna Winger et Daniel Hendler, cocréateur de la série, d’après le livre de Julie Orringer The Flight Portfolio (2019), tient au choix de cette héroïne dont les robes changent à chaque scène, pleine d’une énergie d’autant plus émouvante qu’elle n’est pas vraiment reliée à autre chose que son désir moral de résistance, d’exister en dehors des schémas attendus de sa classe, contre l’avis de son père. Elle va même se découvrir espionne. L’actrice américaine Gillian Jacobs, que l’on avait beaucoup aimée dans Love, l’incarne avec une touche pas si éloignée de la comédie classique, malgré la noirceur du sujet.
Au détour d’une scène où Mary Jayne couche avec le consul américain pour obtenir son aide, on pense au chef-d’œuvre de Paul Verhoeven, Black Book, même si la série reste moins coupante. La légèreté constitue son horizon paradoxal, à l’image de l’épisode 3 presque entièrement consacré à la soirée d’anniversaire de Max Ernst, dans une sublime villa à quelques kilomètres de Marseille prêtée par un sympathisant et amant de Varian Fry. Les convives se déguisent, boivent, dansent, comme s’il fallait conserver à tout prix le goût de vivre alors que la barbarie règne sur l’Europe.
Chagall, Peggy Guggenheim, Hannah Arendt ou Walter Benjamin
Ce fil ténu, Transatlantique parvient à le tenir sans divaguer, en assumant de n’être pas seulement un témoignage historique sur une réalité méconnue, mais aussi le relais d’une façon d’envisager la lutte avec les mots, les couleurs des peintures, les attitudes personnelles. Danser au-dessus du volcan ? Pourquoi pas, répond Anna Winger, si cela est fait avec style.
Les historien·nes estiment que l’organisation mise en avant par Transatlantique a permis le sauvetage de 2 000 réfugié·es, parmi lesquel·les, outre Ernst et Peggy Guggenheim, figurent aussi Hannah Arendt, Marc Chagall et le Prix Nobel Otto Meyerhof. La défense de l’art orchestrée ici, sur Netflix qui plus est, n’a rien d’anodin. Celle des intellectuel·les non plus, à une époque où leur parole et leurs productions n’ont plus toujours l’aura qui était celle des grandes figures du XXe siècle. Une question de génération et de diffusion, bien sûr, mais aussi de fond culturel dans la société.
La série est consciente de sa singularité, parfois un peu trop scolaire dans sa manière de présenter les artistes et les écrivain·es. Mais comment le lui reprocher ? L’émotion d’accompagner Walter Benjamin dans son parcours tragique, suicidé alors qu’il était tout juste arrivé en Espagne, nous ne l’avions jamais ressentie devant une série. Et cela n’arrivera probablement plus de sitôt.
Transatlantique d’Anna Winger et Daniel Hendler, avec Cory Michael Smith, Gillian Jacobs, Lucas Englander, Corey Stoll. Sur Netflix le 7 avril.
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