Une série documentaire très politique de Camille Juza décrypte les stéréotypes et discriminations qui touchent les sportives. Édifiant.
Les corps des femmes croulent sous les injonctions, auxquelles les sportives, malgré leur puissance et les libertés qu’elles prennent avec les normes de genre, n’échappent pas vraiment. En quatre épisodes, la réalisatrice Camille Juza aborde ce paradoxe d’un œil vif, dans une série documentaire très politique où témoignent quelques sportives – les ex footballeuses internationales Mélissa Plaza et Nicole Abar, la championne du monde de free ride Anne-Flore Marxer, notamment –– ainsi que des chercheuses et intellectuelles féministes, comme Camille Froidevaux-Metterie ou Béatrice Barbusse.
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Si la durée globale de l’ensemble (une heure environ) empêche d’aller complètement au bout des choses étant donnée l’ampleur du sujet, Toutes musclées démontre avec minutie les discriminations, empêchements en tout genre et violences que subissent les femmes qui ont fait de la pratique sportive leur passion, voire leur métier. Cela va de l’idée historiquement ancrée des sports dits masculins ou féminins (en gros, foot pour les garçons, gym pour les filles), très visible dès l’école, aux différences de traitements et de salaires, encore béantes aujourd’hui, tant le sport comme business reste ancré dans un imaginaire masculin.
Tenues obligatoires genrées
Juza explique bien comment l’essor du fitness, durant les années 1980, correspondait en partie à une image servicielle du corps de la femme, dédiée au regard des hommes. Cela se manifestait aussi dans les sports plus classiques, où la question du vêtement s’est avérée centrale. Toutes musclées évoque les jupes plissées, dessinées par Jean Patou, de la tenniswoman Suzanne Lenglen circa 1920, synonymes de liberté de mouvement, puis traverse le siècle et rappelle la prise de position récente des joueuses de l’équipe nationale norvégienne de beach handball, sanctionnées pour avoir porté des shorts adaptés plutôt que des culottes échancrées. A quel point les tenues obligatoires des femmes deviennent-elles une muraille patriarcale pour éviter de voir leurs performances ? La réponse se trouve évidemment dans la question, l’exemple le plus fort analysé ici étant celui de Serena Williams.
Toute jeune retraitée à l’âge de 41 ans, celle qui restera probablement comme la plus grande championne de la petite balle jaune (23 titres du Grand Chelem) a subi tout au long de sa carrière des remarques sexistes et racistes qu’elle a balayé d’un revers de la main, incarnant une idée forte et fière du corps féminin et noir, s’habillant librement, pourquoi pas en combi intégrale, telle Musidora. Comme le prouve ce documentaire à montrer dans tous les clubs sportifs et les collèges ou lycées, le chemin à parcourir reste long pour l’appropriation par les femmes de la pratique sportive, au-delà des clichés. Les incroyables remarques publiques sur le physique de la cycliste Jeannie Longo ou d’Amélie Mauresmo, dont les archives glaçantes sont présentées par Juza ne semblent pas si éloignées de nous.
A quand un monde où les femmes pourront choisir leur apparence et leurs mouvements ? A quand des corps sans contraintes ? La question du sport est bien plus profonde qu’elle n’y paraît, comme le suggère la première combattante de MMA (Mixed Martial Arts) française, Tevi Say, dans une punchline définitive : “(Dans le sport), votre corps vous appartient, l’effort sert à quelque chose. C’est un corps qui est utile, et pas un décor”.
Toutes musclées de Camille Juza (4 épisodes de 15 minutes). A voir sur Arte.tv
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