Après « Oz » et « Homicide », le showrunner Tom Fontana continue à nous plonger avec délectation dans le sang, le sexe et les larmes avec « Borgia ». Rencontre.
A l’échelle française, c’est un événement : la première fois que Canal+ tente d’assumer son possible destin de HBO européenne. En partenariat avec des productions allemande et française, la chaîne cryptée s’est lancée dans l’aventure de Borgia, une série en costumes très coûteuse sur la célèbre famille romaine, dont la première saison comptera douze épisodes et sera diffusée à la rentrée.
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Sur le tournage, à Prague, une impressionnante équipe polyglotte s’est démenée pendant plus de six mois entre un palais Renaissance restauré pour l’occasion et les immenses studios Barrandov, où a notamment été reconstituée la chapelle Sixtine… Un genre de superproduction qui promet sexe, sang et larmes, dans les arcanes du Vatican en 1492.
John Doman (ancien de The Wire et de Damages) y tient le rôle de Rodrigo Borgia, patriarche de la famille en voie de devenir pape. Mais le vrai boss sur le tournage s’appelle Tom Fontana. Le scénariste, créateur d’Homicide et d’Oz, connaît ici sa première expérience hors télévision américaine. Et il n’est pas venu pour des vacances. Nous l’avons rencontré entre deux prises, pendant un long moment. Il nous a expliqué sa vie de showrunner et donné envie de croire en son Borgia.
Sur le tournage de Borgia, vous n’êtes pas sur le plateau mais derrière des écrans de contrôle dans une pièce attenante. Quel est votre rôle en tant que showrunner ?
Tom Fontana – Ma fonction est d’abord de développer l’idée de la série et des épisodes. Je les écris ou les fais écrire. Une fois les scénarios terminés, j’en discute avec les autres personnalités créatives, acteurs comme réalisateurs. Puis arrive le tournage. Je ne suis pas là pour faire respecter mon texte à la ligne près, mais je m’assure que ce qui était sur le papier explose à l’écran.
La production de cette série est 100 % européenne, une nouveauté pour vous…
Nous assistons à un mariage intéressant entre un showrunner américain et un mode de production européen. Je suis de New York, où l’on a l’habitude de tourner hyper vite, et il arrive que les choses aillent plus lentement que je ne le souhaiterais. Mais je ne peux pas forcer les gens à devenir new-yorkais ! Sinon, le rapport aux chaînes est assez similaire à ce que j’ai vécu avec HBO lorsque j’ai fait Oz, qui était leur première série dramatique. Personne ne s’est plaint qu’il y avait trop de meurtres ! Je suis d’autant plus surpris que la série parle de l’Eglise catholique, mais personne n’a l’air de vouloir protéger l’image du pape.
Comment avez-vous abordé le genre de la série historique ?
De la manière la plus actuelle possible. Comme en 1492, à l’aube de la Renaissance, nous vivons aujourd’hui une époque de peur. Et l’antidote à la peur reste la croyance en quelque chose, que ce soit la religion ou non. Je n’ai pas vu l’autre série inspirée de la famille Borgia ( The Borgias, avec Jeremy Irons dans le rôle principal – ndlr), mais on me dit qu’ils sont influencés par Le Parrain. Ce n’est pas notre cas.
Le sujet de Borgia, c’est le monde des multinationales, le capitalisme financier, le Vatican vu comme une entreprise qui veut contrôler un produit global. La brutalité des conseils d’administration m’intéresse. Alors, oui, on montre du sexe, de la violence, des trucs fun. Mais le point d’entrée, c’est l’intimité du pouvoir.
Vous êtes-vous inspiré de Rome, la série de HBO ?
Rome a changé pas mal de choses en termes de moyens et de production, mais pas du point de vue narratif. Je n’ai pas aimé cette série. Dans Borgia, j’essaie de retrouver une sensation méditerranéenne très spécifique.
Comment faites-vous le lien entre Borgia et vos autres séries, comme Oz? Les deux se passent derrière des portes closes…
Je suis fasciné par les hommes et femmes amenés à commettre un acte extrême. Homicide était une série sur des meurtres ; Oz parlait de survie et d’assassins. Ils avaient leurs couilles sur la table, si vous me permettez l’expression, boum ! voilà qui je suis. Pour les Borgia, je peux appliquer cette grille de lecture : les enjeux sont énormes et les personnages sont capables de tout.
Comment écrivez-vous une série comme celle-là ? Avec une équipe de scénaristes ?
Durant la première saison d’une série, il est très difficile d’expliquer à douze scénaristes ce dont on parle. Avec un groupe plus restreint, on travaille mieux. Je n’ai pas de salle d’écriture, j’embauche des scénaristes au coup par coup, des écrivains ou des dramaturges de New York. On est tous au même étage d’un immeuble, la communication est rapide. Nous essayons de ne pas dissoudre la personnalité de l’oeuvre. Tchekhov a écrit ses pièces seul, Molière aussi. Simplement, ils travaillaient dans une compagnie où pas mal de gens donnaient leur avis. Pour moi, l’échange est nécessaire, mais si l’on partage trop l’acte d’écrire, le scénario peut devenir un genre de ragoût informe plutôt qu’un bon steak.
Vous n’avez pas encore intégré d’auteurs européens.
Pour la saison deux, s’il y en a une, j’ai envie de le faire. Avec l’idée de leur apprendre ce que je sais du showrunning. Si les scénaristes ont le pouvoir dans les séries américaines, ce n’est pas par charité de la part des chaînes, c’est une question de logique. Quand la télévision est apparue, les réalisateurs et acteurs de cinéma ne voulaient pas en entendre parler. Les seuls à montrer une réelle motivation ont été les scénaristes. Ils étaient traités comme de la merde de toute façon ! Alors ils se sont retroussé les manches. Je me rends compte que l’Europe a un peu de retard.
Il ne suffit pas aux scénaristes de dire qu’ils ont envie d’avoir le pouvoir sur une série. Ils doivent aussi s’occuper de budget, devenir producteurs, cumuler deux boulots à plein temps. Il faut être un peu schizo.
On dit l’industrie américaine des séries en plein doute, malgré la variété de sa production. Qu’en pensez-vous ?
Je travaille à la télé depuis presque trente ans, je suis fasciné par sa transformation. Avant, il y avait trois chaînes, aujourd’hui il y en a des dizaines. Nous sommes à un tournant avec internet, mais la période est intéressante. Paradoxalement, c’est le bon moment pour écrire une série risquée !
Avez-vous le temps de travailler à autre chose que Borgia ?
J’écris une mini-série pour HBO avec mon ami David Simon (créateur de The Wire) inspirée du livre Manhunt de James Swanson, qui traite de l’assassinat de Lincoln. On y raconte cet événement du point de vue des gens les moins importants présents ce jour-là. C’est en bonne voie !
Propos recueillis par Olivier Joyard
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