David Simon adapte la brillante uchronie de Philip Roth, The Plot against America, et chronique un pays gangréné par l’antisémitisme vu par une famille de juifs du New Jersey dans les années 1940. Résolument actuel et profond.
Publié en 2004, The Plot Against America est l’un des romans tardifs les plus importants de Philip Roth, où le grand écrivain américain mélange avec brio l’autofiction et l’uchronie. L’auteur de Portnoy et son complexe imagine l’Amérique du début des années 1940, celle de son enfance, qui aurait élu l’aviateur et politicien antisémite Charles Lindbergh à la présidence. Dans la réalité, celui-ci n’a jamais réussi à percer avec son mouvement isolationniste America First. Mais dans la fiction, une sensation de vérité s’invite alors que l’Amérique bascule dans le fascisme.
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Il fallait un monument pour s’y attaquer et c’est naturellement David Simon (tout juste sorti de The Deuce) qui adapte le roman pour HBO en six épisodes bouclés et denses. Le plus énervé politiquement des scénaristes américains est accompagné ici par Ed Burns, compagnon de route depuis les excellentes The Corner et Generation Kill – Burns a aussi largement contribué à l’écriture de The Wire. Les deux hommes élargissent le point de vue du livre (qui était raconté à hauteur d’enfant par un personnage du nom de Roth lui-même) à celui de toute la famille Finkel, des juifs du New Jersey qui voient leur destin basculer.
Un commentaire politique virulent sur le fond brutal et autoritaire de l’Amérique
Au premier contact, The Plot Against America a quelque chose d’un peu déstabilisant, dans son refus absolu de se départir des poncifs du récit d’époque, costumes potentiellement élimés, planchers qui craquent et musique old school à la clef. Cela aide à comprendre une bonne fois pour toutes que les audaces de David Simon n’ont jamais vraiment concerné la forme – mis à part l’étonnante minisérie The Corner et certains aspects de The Wire – mais plutôt une recherche simultanée de simplicité et de complexité dans les réseaux dramaturgiques.
Bien qu’il personnifie un art qui semble s’être révélé dans toutes ses dimensions modernes au cours des vingt-cinq dernières années, Simon est avant tout un classique américain, thématiquement et esthétiquement. Toutes ses séries – et The Plot Against America ne fait pas exception – ne valent que prises dans la longueur et envisagées en fonction de leurs nuances et déploiements.
La subtilité en marche ici consiste à faire d’un récit aux résonances largement contemporaines une expérience intime de la peur. La série peut et doit être vue comme un commentaire politique virulent sur le fond brutal et autoritaire de l’Amérique, à l’orée de la possible réélection de Donald Trump. Au-delà du slogan “America First” repris par l’actuel locataire de la Maison Blanche, le populisme de Lindbergh éclaire celui d’aujourd’hui.
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On peut repérer les allusions et références nettes, qui faisaient sens également dans Watchmen, une autre série récente obsédée par les dangers xénophobes ancrés dans l’histoire du pays. Roth avait lui-même écrit son roman en réaction la présidence Bush dans l’après 11-Septembre.
Le mal que l’on ne veut pas voir et qui vient nous regarder
Mais les six épisodes de The Plot Against America ne se contentent pas de lister les infamies passées et présentes avec flamboyance. Ils en font un sujet profond en montrant le point de vue et les sensations de celles et ceux qui les reçoivent. Ici en l’occurrence des juifs américains, pleins d’espoir quand s’ouvre le premier épisode (la famille Finkel a pour projet d’acheter une maison) et peu à peu terrassés par l’angoisse, à mesure que le pays se trouve lui aussi gangréné par la haine et par l’exclusion.
Tout se joue dans le quotidien de quelques hommes et femmes soudain teinté d’un voile sombre à l’écoute de la radio, sur les peaux soudainement marquées par l’idée que le pire – ici incarné par la haine antisémite – n’est pas une possibilité, mais peut se conjuguer au présent.
Le mal que l’on ne veut pas voir et qui vient nous regarder, la fragilité de la démocratie dans ce contexte instable de déni. Cela a toujours été le sujet de David Simon, qui trouve ici un terrain d’expression extrêmement personnel. L’un des plus beaux personnages de son œuvre se niche d’ailleurs ici : un enfant juif qui comprend très tôt les montagnes qu’il devra soulever pour avoir le droit de vivre.
The Plot Against America A partir du 17 mars sur OCS City et OCS Go
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