Un thriller classique insidieusement parasité par des trouées fantastiques. Par le showrunner de “The Night of”.
Bien que l’on puisse s’attendre à le voir se tarir au fil des années, le filon Stephen King continue d’alimenter l’imaginaire des fictions américaines avec une régularité métronomique. Si le grand écran s’est arrogé le versant strictement horrifique de son œuvre (Simetierre, Ça : chapitre 2, Dans les hautes herbes ou Doctor Sleep ont agité 2019 de soubresauts inégaux), les séries télévisées ont entrepris d’explorer sa veine policière, teintée de fantastique.
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Après la solide Mr. Mercedes et une Castle Rock embrouillée, l’adaptation du roman The Outsider a été confiée à Richard Price, collaborateur régulier de David Simon (The Wire, The Deuce) et showrunner de The Night of.
Un tempo retenu à la lisière du contemplatif
Lorsque le corps affreusement mutilé d’un garçon de 11 ans est retrouvé aux abords d’une petite ville d’Oklahoma, le détective Ralph Anderson (Ben Mendelsohn) arrête immédiatement Terry Maitland (Jason Bateman), entraîneur respecté de l’équipe de baseball locale dont les empreintes digitales et l’ADN inondent la scène de crime.
Ce suspect idéal dispose pourtant d’un alibi solide, confirmé par des enregistrements vidéo : le jour du crime, il assistait à une série de conférences à des centaines de kilomètres de la victime.
Dépliée sur un tempo retenu à la lisière du contemplatif, The Outsider met plusieurs épisodes à dévoiler pleinement son jeu et plus précisément son genre. Abordé du point de vue désorienté du faux coupable, le drame judiciaire est rapidement escamoté au profit d’un thriller policier à la facture classique.
Du flic hanté par des blessures anciennes à la communauté pétrie de secrets et des infanticides sanglants aux familles éplorées, l’enquête s’inscrit dans un sillon éprouvé : exécuté avec savoir-faire, le programme manque d’originalité. Mais un troisième registre, surnaturel cette fois, viendra le travailler en pointillé et précipiter nos true detectives dans l’univers de Stephen King.
Pouvoirs médiumniques et esprits maléfiques
Contrairement au spectateur, Ralph Anderson et ses collègues n’en possèdent pas les clefs et devront modifier leur perception du réel pour en décoder les signes – marques sur la peau, visiteurs nocturnes ou dopplegängers sanguinaires. Cette torsion s’exprime en premier lieu dans leur rapport à la logique policière.
Si une enquête classique repose sur l’élimination progressive d’hypothèses dans le but de n’en laisser subsister qu’une, il faudra ici admettre la coexistence d’événements contradictoires : Terry Maitland n’était pas soit à la conférence, soit sur les lieux du crime, mais aux deux endroits à la fois.
Une fois acceptée cette impossible vérité, les personnages devront apprendre à regarder le monde différemment pour en démêler les fils obscurs. C’est ainsi qu’entre en jeu le personnage d’Holly Gibney (Cynthia Erivo), dont la situation marginale et les pouvoirs médiumniques évoquent le Danny Torrance de Shining et Doctor Sleep, et qu’une attention particulière est portée à la parole des enfants dont l’innocente clairvoyance avait percé le voile du réel avant les adultes.
Ce décentrement progressif du regard confère aux partis pris de mise en scène une dimension nouvelle. Ce que l’on avait interprété comme une esthétisation un peu ronflante (discussion filmée en lent travelling depuis l’extérieur du bâtiment, vision troublée par des jeux de reflets ou de transparences) pourrait sédimenter un point de vue décalé, porté depuis un outre-monde peuplé de fantômes et d’esprits maléfiques, un double du réel qui s’apprête à le dévorer.
The Outsider sur OCS City
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