C’est le buzz série du moment, une série écrite par Aaron Sorkin, scénariste de The Social Network. Avec Jeff Daniels en vedette.
Aaron Sorkin a écrit la totalité des dix épisodes de la première saison de The Newsroom. Pour les chanceux qui ne connaîtraient pas encore cette figure majeure des séries contemporaines, précisons qu’il ne s’agit en rien d’une surprise. Depuis sa première création pour le petit écran (Sports Night, 1998-2000), ce garçon exalté, brillant et peu partageur, se sert parfois de co-scénaristes, mais principalement pour tester ses idées, surtout pas pour écrire avec lui. Si les résultats ont toujours été à la hauteur de son ambition démesurée, notamment son inoubliable chef d’œuvre A la maison blanche (1999-2006), Sorkin a parfois payé cher sa radicalité. Après quatre saisons de cette extraordinaire série politique, l’homme a du jeter l’éponge à cause d’une grande fatigue et d’une addiction à la cocaïne. Les tabloïds ont aimé. Les amateurs de séries un peu moins.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On pensait ne jamais le revoir. Le contraire s’est produit. Après une belle et sous-estimée vue en coupe d’une émission comique (Studio 60 on The Sunset Strip, 2006-2007), où son talent pour la comédie romantique éclatait, Sorkin est devenu l’un des scénaristes les plus recherchés d’Hollywood, obtenant l’Oscar en 2011 grâce au scénario du biopic du fondateur de Facebook Marc Zuckerberg, The Social Network. C’est peu dire que le retour du prodige à la télévision, cinq ans après sa dernière tentative, s’impose comme l’un des événements de l’année.
Première collaboration d’Aaron Sorkin avec une chaîne câblée (HBO fonctionne sans publicité, autorise un langage cru et la nudité), The Newsroom rassemble la plupart des obsessions de son auteur. On y plonge une nouvelle fois dans l’univers de la télévision – la série se passe presque entièrement dans la salle de rédaction d’un programme de news tel qu’en diffuse CNN. Comme dans A la maison blanche, Sports Night et Studio 60 on The Sunset Strip, les personnages de The Newsroom sont les piliers d’une petite communauté de travail amoureuse de son job et incapable de compter les heures. Tous sont brillants. Ils flirtent avec le pouvoir et pensent tenir le destin du pays entre leurs mains. Un autoportrait plus ou moins direct, mêlé à une étude de l’Amérique et de sa dynamique politique et sentimentale : voilà à quoi ressemblent toutes les séries d’Aaron Sorkin.
La sensation majeure devant The Newsroom est pourtant celle du changement, non pas dans les thèmes abordés, mais dans la forme et le ton. Au swing qui caractérisait son travail, à ces joutes verbales brillantes filmées en longs plans-séquences fluides (le célèbre « walk and talk »), Sorkin préfère ici un style plus chaotique, voire heurté, au point que ses acteurs semblent parfois courir après leur texte. Une sensation désagréable. Pour la première fois, le créateur s’est attaché les services d’un autre réalisateur que Thomas Schlamme, son complice de toujours. Avec Greg Mottola, qui a réalisé le pilote et le dernier épisode, Sorkin a mis en place un système de mise en scène moins empathique, peuplé de panoramiques lointains, de petits zooms et de recadrages. Un détail ? Certainement pas. Une volonté ? Evidemment. Si la belle mécanique sorkinienne renonce à elle-même, c’est peut-être parce que l’auteur a décidé d’afficher sans complexe sa misanthropie, sa colère contre le monde tel qu’il va.
The Newsroom s’affirme comme la série la plus intransigeante et la plus politique d’Aaron Sorkin, celle où la guerre contre la médiocrité ambiante – déjà un dada du président Bartlet dans A la maison blanche – est poussée très loin. Dès le générique sont convoqués des figures clefs de l’histoire du journalisme intègre à l’américaine, de Walter Cronkite à Edward R. Murrow. Le pétage de plombs du personnage principal, Will Mc Avoy, lors d’une conférence dans une université, reprend de manière directe le film Network de Sydney Lumet, que Sorkin avait déjà utilisé dans Studio 60 on The Sunset Strip. Après la question d’une étudiante (« Pourquoi l’Amérique est le plus grand pays du monde ?« ) à laquelle il répond par une tirade à la fois agressive et lucide (« Elle ne l’est plus« ), ce présentateur plutôt banal décide de se transformer en héraut de la démocratie médiatique.
Du Printemps arabe à Fukushima en passant par la mort de Ben Laden, les dix épisodes suivent les grandes crises du globe et les petits accrocs personnels à la rédaction – la rédactrice en chef est aussi l’ex de Will Mc Avoy. Si l’équilibre privé/public est plutôt très habilement respecté, il arrive à The Newsroom de se révéler un peu trop donneuse de leçons. Certes, les personnages sorkiniens ont toujours eu raison contre tout le monde. Leur arrogance faisait leur beauté. Mais ceux-là ont comme oublié de réactiver le doute qui habitait fondamentalement leurs prédécesseurs. Toujours rigoureusement moraux, du « bon » côté du manche (contre le Tea Party et les mensonges de la frange extrémiste du Parti Républicain, pour la bonne marche du rêve américain), Will Mc Avoy et son équipe sont montrés comme les derniers remparts dont le pays a besoin contre la barbarie. Une illusion que la réélection finalement aisée de Barack Obama a fait voler en éclats. L’Amérique est–elle aussi tristement manichéenne que Sorkin ne le pense ?
Au-delà des travers professoraux qui lui enlèvent du charme, The Newsroom touche très juste dans sa description du quotidien d’une rédaction et des enjeux qui lui sont associés : comment une rumeur devient une information quand elle est vérifiée, comment les rapports des journalistes aux cercles du pouvoir politique et financier sont aussi nécessaires que parfois dangereux. Sorkin excelle à décrire les mœurs de la classe dirigeante à l’ère des grands groupes de communication. Son point de vue sur la crise de l’information est parfois rétrograde (pourquoi une telle haine envers Internet, Aaron ?) mais The Newsroom a le mérite d’appuyer là où ça fait mal. Et si la série n’est pas le chef d’œuvre espéré, elle passionne juste assez pour attendre avec curiosité la deuxième saison, prévue au mois de juin prochain.
The Newsroom, saison 1. Créée par Aaron Sorkin. Avec Jeff Daniels, Emily Mortimer, Olivia Munn, Dev Patel, Alison Pill, Jane Fonda. A partir d’aujourd’hui, à 20h40 sur OCS Novo.
{"type":"Banniere-Basse"}