Série historique et médicale centrée sur un chirurgien accro à la coke, « The Knick » marque le retour du réalisateur de « Sexe, Mensonges et Vidéo » sur le petit écran. Une réussite.
Dans le grand chamboulement culturel qui redéfinit depuis quinze ans les frontières entre cinéma et télévision, l’arrivée de Steven Soderbergh à la réalisation d’une série s’ajoute à la liste déjà fournie des piliers du grand écran en migration plus ou moins éphémère vers le petit frère déjà plus grand que lui – de Martin Scorsese à Gus Van Sant en passant par James Gray.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le cas de l’auteur d’Hors d’atteinte est pourtant singulier, d’abord parce qu’il ne s’agit pas de sa première série : il avait réalisé en 2003 les dix épisodes de K Street (HBO), un genre de sitcom politique aux frontières de la téléréalité, largement improvisée. Une semi-réussite seulement, un peu trop aride, restée dans les marges de l’histoire des séries.
Avec The Knick, mise en scène intégralement par Soderbergh pour Cinemax (filiale de HBO) et créée par Jack Amiel et Michael Begler, l’affaire se révèle bien différente. Le projet est arrivé entre les mains du réalisateur au moment où il avait signifié au monde son congé du cinéma, après avoir terminé Ma vie avec Liberace et enchaîné cinq films en deux ans. « Le Hollywood business me lasse« , avait expliqué en substance l’ex-petit génie de Sexe, mensonges et vidéo, palmé à 26 ans.
Une histoire de pionniers
Le moins que l’on puisse dire devant les sept premiers épisodes (sur les dix que compte la première saison) de cette série médicale située à New York, en 1900, c’est que Soderbergh y cherche quelque chose avidement. Une forme. Une manière de repartir non pas de zéro mais d’un angle différent. Une façon d’exercer son métier avec un souffle neuf. Telle est la plus évidente qualité de The Knick, son sens de l’aventure, qui parvient à créer la sensation d’une immersion à la fois douce et forte dans un monde de danger et de mort.
Comme toutes les bonnes fictions américaines, celle-ci raconte l’histoire difficile de pionniers. Le personnage principal, John Thackery (Clive Owen, moustachu tendance torride) est le chirurgien en chef d’un hôpital peu doté en moyens. Dans le chaos de la médecine préantibiotiques, New York est un repère d’infections et d’épidémies, où le moindre mal banal aujourd’hui devient potentiellement létal. La brutalité gore du premier épisode, qui revient à intervalles réguliers par la suite, se montre absolument nécessaire pour régler le regard du spectateur sur le courant alternatif que propose la série : chaud et froid, vitesse et lenteur, tout s’entrechoque devant la caméra chuchotée de Soderbergh – on pense souvent à Girlfriend Experience, notamment, et aux quatre heures de Che.
Leçon d’intimité
Intrinsèquement, le récit n’est pas totalement original dans le contexte des séries du câble d’aujourd’hui, avec ce médecin surdoué mais accro à la cocaïne (il rappelle bien sûr Dr House) et de surcroît raciste, refusant la nomination à un poste important d’un collègue noir. Dans la fluidité virevoltante de certaines scènes de soins et le souci constant de mettre en scène le terreau social qu’est un hôpital, l’ombre de la grande Urgences se dessine également. Mais l’essentiel, pour nous, est ailleurs. Dans la manière dont la série explore subitement des états de conscience plutôt qu’une réalité. Dans sa manière de rendre 1900 palpable, comme si ces chambres d’hôpital obscures étaient aussi les nôtres. Dans la belle musique électronique de Cliff Martinez. Dans les petits dérèglements visuels subtils qui culminent dans un septième épisode de toute beauté.
The Knick, un cours d’histoire ? Pas seulement. Au choix, un cours de lumière, une leçon d’intimité, une introduction à l’art de la patience narrative. Pas un chef-d’œuvre – au premier visionnage en tout cas – mais l’œuvre d’un homme qui a trouvé son plaisir dans un monde nouveau.
Olivier Joyard
The Knick, sur OCS City tous les samedis soir
{"type":"Banniere-Basse"}