Après une saison 3 assez faible en terme d’intrigues, le ras-le-bol de certain·es devant l’aspect “torture porn” de la série et son discours biologisant autour de la maternité, “The Handmaid’s Tale” s’était presque faite oublier. Et pourtant, après ces deux années d’absence, la quatrième saison s’avère étonnamment bouleversante et politique.
Cette saison 4, June continue sa métamorphose en Jeanne d’Arc dystopique. Les extrêmes gros plans du visage d’Elisabeth Moss, le regard dirigé vers le haut, après avoir été torturée, rappellent ceux de Renée Falconetti dans La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer et annonce le procès à venir de June en fin de saison (au moment d’écrire cet article nous avons pu regarder les trois premiers épisodes, ndlr). Mais cette figure mythique de pucelle annonce aussi une nouvelle vision du rapport de June à son rôle de mère et de guerrière.
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D’entrée de jeu, cette saison offre une vision plus ambiguë des trajectoires d’adoption et de maternité. Les enfants débarqué·es par cargo au Canada, “sauvé·es” par June lors de la dernière saison, ont du mal à s’acclimater et regrettent leur famille de Gilead. Moira, la meilleure amie de June, exprime clairement sa non-envie d’être mère, Aunt Lydia, responsable des servantes, n’arrive plus à “protéger ses filles”. June, quant à elle, déploie une nouvelle facette de son rôle de mater dolorosa auprès de personnes qu’elle n’a pas portées dans son ventre, notamment à la fin de l’épisode 1, lorsqu’elle accueille dans son lit une femme de commandant tout juste adolescente, “Madame Keyes”.
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Nouvelles lignées
[Spoiler] Esther, cette femme de commandant, au visage encore pétri de l’enfance, s’amuse à jouer à la cheffe de maison. June essaye de la raisonner, en lui faisant réfléchir au rôle de la violence. C’est alors qu’Esther avoue à June qu’elle est régulièrement violée par l’entourage de son mari, dont un chauffeur. Ce dernier apparaît. Les servantes s’organisent pour le tuer. June demande à ce que l’homme “qui a trahi les Etats-Unis en violant une enfant” soit mis dans la porcherie. June passe son couteau à la jeune fille et disparaît alors qu’on entend le “porc” rendre son dernier souffle. Encore couverte de sang, dans le dernier plan de l’épisode 1, Esther vient se blottir derrière June alors que la chanson A natural woman d’Aretha Franklin résonne. Elle lui susurre à l’oreille “I Love you”, comme une enfant le dirait à son parent. June lui chuchote à son tour : “I love you too, Banana”, le surnom qu’elle donnait à sa fille aînée Hannah, enlevée par le régime de Gilead.
Violences féminines, violences féministes
Se diffuse alors une drôle de sensation. D’abord celle du deuil, ce surnom, pas prononcé depuis des années, nous rappelle à la fois la temporalité de nos vies de spectateur·rices (et les surnoms donnés aux êtres aimé·es qui ne sortent plus de notre bouche), et le souvenir de cette relation mère-fille qui s’est étiolée en quatre saisons. Reste aussi une sensation de malaise. Est-ce que la série en dépeignant la mort du “porc” ne continue pas d’exploiter une violence gratuite ? Ou alors, est ce que le malaise est lié au manque de représentations de violences féminines, dans le sens où la violence n’est pas oppressive mais défensive (comme l’explique l’activiste Irene dans son livre La Terreur féministe) ? [fin du Spoiler]
L’image de cette jeune fille couverte de sang incarne pourquoi la violence féminine collective reste le meilleur moyen d’ébranler le régime de Gilead. Lire la série The Handmaid’s Tale à l’orée du genre de Rape and Revenge permet de voir le geste de cette jeune fille non plus comme celui d’une violence banalisée, mais comme un moyen politique de se défendre de la répétition des viols, qu’ils soient perpétrés sur le corps des servantes ou sur ceux de leurs maîtresses. Les paroles de Carole King et Gerry Goffin “You make me feel like a natural woman” deviennent d’autant plus subversives puisqu’ici “la nature féminine” est celle de s’emparer de la violence et de créer un lien entre deux femmes en dehors de la biologie.
En nommant Esther, “Banana”, June entraperçoit la possibilité que la filiation peut se nouer non plus en fonction des liens de sang, mais à travers des actes militants. Les femmes dans The Handmaid’s Tale deviennent violentes, non pas parce qu’elles sont hystériques, mais bien parce qu’elles sont lucides. C’est leur outil pour aller vers la démocratie.
La critique Nicole Brenez écrivait à propos du film de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi : “Baise-moi, en découd bien moins avec les rapports de domination entre hommes et femmes qu’avec un problème politique : la confiscation par l’idéologie du plaisir comme valeur (…) Baise-moi établit la distinction entre plaisir de consommation (le cercle libertin, comme le fasciste hypocrite) et vraie jouissance.”
Ici, le plaisir des héroïnes (et des spectateur·rices) ne situe pas dans le lynchage d’un violeur (la scène reste hors-champ) mais dans la possibilité de se lier pour mieux résister. La jouissance se situe dans l’apparition et la réapparition de ce corps collectif et dans la réalisation que la sororité reste l’arme la plus efficace contre le patriarcat.
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