Le créateur d’Hostages déjoue les codes du polar sériel classique pour mieux nous déstabiliser et nous accrocher à un univers fait de multivers, de surnaturel et de non-dits.
Dans un coin perdu du nord d’Israël, au cœur d’une réserve naturelle, un tremblement de terre fait sortir de terre trois squelettes dont tout porte à croire que leurs propriétaires ont été assassiné·es d’une balle tirée à bout portant. A ce moment-là, tout·e fan de série un peu trop habitué·e aux polars répétitifs et glauques pourrait avoir envie de tourner les talons, face à tant de déjà-vu potentiel. Il ou elle aurait tort, malgré tout.
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Car The Grave a beau démarrer de cette manière, à peu près tout le mouvement narratif de la série consiste à s’éloigner de ce qui semblerait évident pour ouvrir des pistes différentes, bizarres, voire tordues. Très vite, on apprend par exemple que les corps retrouvés appartiennent à des personnes bien vivantes : le gardien de la réserve, Yoel, qui a perdu sa femme dans un accident de voiture et élève seul leur jeune fils ; Noam, un genre de mentaliste installé à Tel-Aviv en proie à des visions, et enfin Avigail, une jeune prisonnière qui purge une peine pour meurtre.
Une histoire de vies multiples
Omri Givon, le créateur de The Grave, a écrit et réalisé seul les huit épisodes bien tassés de la série. Un travail titanesque et sans doute mauvais pour la santé, mais un schéma plutôt habituel en Israël, où l’incongruité des budgets rend quasiment impossible l’idée même d’une salle d’écriture à plusieurs voix.
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Ce quadragénaire diplômé de l’école d’art principale du pays, située à Jérusalem, ancien assistant du cinéaste palestinien Elia Suleiman pour son film Intervention divine (2002), s’est fait connaître comme réalisateur de cinéma avant de percer définitivement dans les séries. L’efficace Hostages (2013-2016) a tracé son chemin dans le monde entier avant When Heroes Fly (2019), récompensée lors de la première édition du festival Canneséries et vue sur Netflix. Avec cette nouvelle création, coproduite par les Français·es de Federation, il vise aussi large, sans pour autant donner de gages à une vision simpliste de son récit.
Une galerie de personnages souvent bouleversants
The Grave n’a rien de facile à suivre et mérite même quelques petits retours en arrière pour s’assurer d’avoir bien saisi telle réplique, tel geste ambigu. Nous sommes devant une série faite de détails et parfois de non-dits, qui met plusieurs épisodes à vraiment déployer son récit ou, en tout cas, à nous faire entrer dans ses volutes narratives. Ici, les temporalités s’enchevêtrent, les personnages vivent plusieurs vies (littéralement), et c’est d’autant plus déstabilisant que tout paraît normal.
Ce n’est pas en multipliant les effets visuels que la série avance et trouble, mais justement en plaquant de l’étrangeté, voire du surnaturel sur des situations parfaitement classiques. Les scènes se construisent en apparence comme celles d’un polar psychologique élégant, aux cadres étudiés, aux silences pesés. Trop, parfois, ce qui apparaît comme une limite : les épisodes manquent par moments d’un sens de l’ellipse et de l’épure qui leur aurait fait du bien.
Un objet singulier, diablement addictif, ancré dans la réalité et la géographie mouvantes d’un pays
Quand elle traite son véritable sujet, pourtant, The Grave touche juste et parvient à faire vivre une galerie de personnages souvent bouleversants. Il est question de rapports filiaux, d’occasions ratées, de l’idée paralysante que nous pourrions passer à côté de nos vies. Pour y parvenir, Omri Givon convoque rien de moins qu’une plongée dans quelques lois encore secrètes de la physique.
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A travers le multivers, d’une manière qui peut rappeler la dernière saison de Lost, tout entière tendue vers le sujet de nos existences réelles et de celles que l’on fantasme. Le fantôme de David Lynch s’invite aussi à la table, sans que personne ne lui ait demandé son avis. Mais tout cela a lieu de façon peu démonstrative, avec les atours d’un classicisme sériel qui ressemblerait presque aux productions nordiques des années 2000. Cela donne finalement un objet singulier, diablement addictif, ancré dans la réalité et la géographie mouvantes d’un pays, Israël, qui n’a pas fini d’offrir au monde des séries produites avec peu, mais capables de beaucoup.
The Grave d’Omri Givon avec Liana Ayun, Nadav Netz, Shalom Michaelshwilli. Sur Salto
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