Après avoir épuisé les histoires de la BD originelle, The End of the F***ing World se réinvente brillamment sans se départir de sa tristesse fondamentale.
Les histoires d’émancipation sont souvent les meilleures. Quand Damon Lindelof a épuisé les lignes narratives du roman de Tom Perrotta après la première saison de The Leftovers, il a produit ce qui restera peut-être comme les meilleurs épisodes de série de sa carrière. L’Anglaise Charlie Covell se trouve à peu près dans la même situation avec The End of the F***ing World, deuxième vague.
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Cartes rebattues
Tirée du roman graphique de Charles Forsman paru en 2013, la saison inaugurale racontait l’histoire de James et Alyssa, deux ados en fuite, dans les pas de l’histoire originale. Netflix et Channel 4 ont demandé à la créatrice de réfléchir à une suite sans la béquille des comics, comme une deuxième peau. Huit nouveaux épisodes nous parviennent aujourd’hui et, le moins que l’on puisse dire, c’est que la mue est réussie.
L’entrée dans la saison donne le ton, avec un épisode où le récit précédent n’est rattrapé que de biais. Les cartes sont rebattues, même si nous sommes à la maison – question de cadres, de lumière, de rythme, de musique aussi, puisque des tonnes de morceaux vintage rock et folk scandent les scènes. Nous faisons la connaissance d’un nouveau personnage, Bonnie, une post-adolescente noire dont la vie et les blessures à vif sont exposées à travers quelques vignettes marquantes.
Vibe tarantinienne
Tout l’art de The End of the F***ing World se niche dans cette entrée en matière virtuose : une façon d’envelopper la réalité par des scènes sèches, des esquisses à la précision féroce. Attention, spoiler. La nouvelle héroïne est en réalité l’une des anciennes conquêtes du professeur tué par James durant la première saison. Ce dernier avait défendu Alyssa, victime d’une tentative de viol, le prof en question étant un agresseur sexuel récidiviste, vidéos à l’appui.
L’ADN féministe rageur de la série reste un intense carburant, mais d’une manière surprenante. Bonnie n’a pas supporté la disparition brutale de celui qu’elle aimait aveuglément (sans comprendre qu’il était un violeur) et cherche à se venger. Avec une vibe tarantinienne, la jeune femme avance dans la vie avec la certitude de devoir éliminer les responsables de son immense tristesse. La série lui fait crédit en la regardant lutter avec la violence qui émerge en elle.
La première saison, on peut le rappeler, débutait avec le personnage de James se persuadant lui-même d’être un psychopathe. Son premier désir était de tuer celle qu’il rencontrait, Alyssa, avant d’être pris au cœur et au corps par ses sentiments pour elle. Cette saison 2 raconte aussi ce qui semble obséder la showrunneuse : l’émergence de la violence chez un être blessé et la meilleure manière de la regarder en face. “What do I do with all the pain ?” entend-on dans le magnifique épisode 7, aux relents assumés de Twin Peaks. Que faire avec toute la souffrance ? Scène après scène, une réponse se dessine, pas toujours optimiste.
Double mouvement de mélancolie et de vitalité
De ce point de vue, The End of the F***ing World n’a pas perdu sa dureté intrinsèque. Après un petit flottement dans les épisodes 2 et 3 qui réinstallent quasiment aux forceps le couple originel de la série formé par Alyssa et James, elle l’approfondit, la travaille encore plus, pour dessiner un monde de solitudes radicales. Ici, pas de structure sociale mais des familles éclatées et des amours flottantes, presque rien qui ne circule d’autre que le manque, l’absence, les regrets.
De façon magistrale, cette saison nourrit sa propre nostalgie en multipliant les flash-backs ultra-rapides sur des scènes la plupart issues des huit premiers épisodes. Cette nostalgie de la première saison est celle d’une adolescence perdue qui, même cataclysmique, même insupportable, donnait toute sa place au désir. Deux ans plus tard, tout s’est aggravé.
En même temps qu’elle tente de réparer ses personnages si durement affectés, The End of the F***ing World se soigne elle-même, bouture ses plaies, s’offre des élans de vie en puisant dans ce qu’elle a déjà construit. Ce double mouvement de mélancolie et de vitalité lui donne sa beauté sombre et existentielle. Les séries aussi sûres de ce qu’elles veulent dire et aussi accueillantes avec leur propre fragilité sont rares.
The End of the F***ing World saison 2, depuis le 5 novembre sur Netflix
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