La deuxième saison de “The Bear”, efficace et audacieuse, continue de nous émouvoir tout en nous laissant face à de nombreux paradoxes.
Jeune chef ayant officié dans les meilleurs restaurants du monde, Carmen Berzatto a regagné sa ville natale de Chicago pour sortir du bourbier la sandwicherie familiale, laissée à la dérive après le suicide de son frère. Portée par une mise en scène en ébullition permanente, la première saison de The Bear accordait la reprise en main d’un environnement de travail décrépit aux vacillements existentiels de ses personnages cabossés.
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Suite à la découverte d’un magot planqué, l’équipe décidait de fermer The Original Beef of Chicagoland pour ouvrir The Bear, un établissement plus haut de gamme accordé à leurs fantasmes culinaires. La cadence infernale de la première saison, principalement saisie dans les coups de feu précédant le service, laisse place à une série de deadlines épineuses qui anticipent la réouverture.
Chemins de traverse
Alors que ce compte à rebours esquissait une saison marathon, les scénaristes le déplient en une structure foisonnante qui laisse la part belle aux trajectoires individuelles. On suit par exemple Sydney (Ayo Edebiri), jeune cuisinière ambitieuse promue co-cheffe avec Carmen, dans ses déambulations culinaires à travers la ville. On accompagne Marcus dans un séjour à Copenhague empreint d’une douceur mélancolique. On s’émeut de voir les vieux tauliers Tina et Ebra éprouver leurs habitudes lors d’une formation en cuisine exigeante.
Ces suspensions et chemins de traverse constituent la plus belle face de cette saison, comme un processus de décantation qui permet d’appréhender de façon sensorielle son double-fond existentiel. Mais les démons intérieurs ne sont jamais loin, et ressurgissent notamment lors d’un épisode d’anthologie, plongée de plus d’une heure dans un dîner de Noël chaotique ayant eu lieu cinq ans auparavant dans la famille Berzatto, rongée par les égos virilistes et surplombée par une matriarche psychotique incarnée par Jamie Lee Curtis.
Gentrification des images
Forte de ses audaces narratives et formelles, la deuxième saison de The Bear trouve un équilibre souverain qui la rend assez irrésistible. Un charme qui tient aussi à sa façon de s’approprier toute une gamme d’images contemporaines – téléréalité culinaire et Insta food, tutos rangement et ultimate cleaning, développement personnel et ASMR – qui ont en commun de soulager nos angoisses partagées. Truffée de ces marqueurs collectifs, l’ouverture du restaurant structure un processus de guérison qui s’adresse aussi à nous, spectateur·ices.
On en ressort néanmoins avec un goût amer en bouche. Car cet anoblissement des formes “pauvres” dans une fiction emblématique d’un certain auteurisme branché fait écho à l’enjeu principal de cette saison, qui consiste à transformer un restaurant populaire en établissement haut de gamme. La gentrification des images – grain de pellicule, BO pointue – fait écho à une aventure entrepreneuriale dont l’élitisme et le cynisme sont rarement questionnés.
Si l’on pouvait penser que la série désavouerait l’organisation militaire de la haute gastronomie pour exalter l’énergie fantasque de sa “famille” cabossée, elle semble au contraire véhiculer une idéologie du dressage par le travail, comme seule façon de donner un sens à l’existence en trouvant sa place bien délimitée dans la société. L’adoption revendiquée du costume-cravate par le cousin Richie, chien fou dompté par un stage dans un établissement aux règles maniaques, parle pour elle-même. On peut admirer cette troupe redisciplinée, mais aussi regretter son naturel plus fragile et sincère.
Il faut attendre le dernier épisode, où le culte de la performance se heurte à l’équilibre psychologique et sentimental des personnages, pour que ce programme vacille. L’éclat de la réussite se fissure d’ambiguïtés dans lesquelles il nous tarde de plonger, au fil d’une troisième saison où la question de la mesure, entre réalisme et idéal, travail et vie personnelle, tensions et apaisement, pourrait être centrale.
The Bear saison 2, de Christopher Storer, avec Jeremy Allen White , Ayo Edebiri, Ebon Moss-Bachrach… Sur Disney+.
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