Après un premier épisode en demi-teinte, on avait peur que la série de Christopher Storer nous lasse, mais c’était sans compter sur la force de ses personnages.
Après le premier épisode de la nouvelle saison de The Bear, un doute s’était emparé de nous : la série de Christopher Storer allait-elle penser son renouvellement ? Elle semblait tourner en rond, sans voir à quel point l’enlisement guettait. Au bout des 10 épisodes, que Disney+ met en ligne simultanément, on ne dira pas que le danger a disparu. Mais on n’y voit plus un manque, plutôt une identité. Creuser sur place, c’est parfois une bonne nouvelle.
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La saison dernière, The Bear nous avait laissé le soir de l’ouverture chaotique du restaurant de Carmy, qui accomplissait son rêve de lancer un établissement haut de gamme, avec la même équipe que dans son ancien repaire de sandwichs gouteux : Richie, l’ancien meilleur ami de son frère décédé, Sydney, la jeune et talentueuse sous-cheffe, mais aussi Marcus, le pâtissier, Tina et les deux “Faks”, sans oublier Natalie, qui gère les finances.
Dans cette troisième saison, la capacité du chef et de ses acolytes à faire vivre une cuisine à l’ambition étoilée dans un contexte économique morose – à Chicago ou ailleurs – tient lieu d’enjeu. En cela, la série suit toujours de près la vie réelle des restaurants à travers le monde, dont le modèle a été éreinté par la crise du Covid. L’ambition qui coûterait trop cher pourrait devenir une ambition évanouie.
Des personnages scrutés de près
Très vite, pourtant, on se rend compte que la survie du restaurant n’est pas directement le souci principal du showrunner. L’enjeu existe, mais il mijote à feu doux, comme une bombe à retardement. La cuisine n’est plus au centre de tout. La série se concentre sur autre chose, en attendant le verdict. Cette saison 3 met en place une narration éclatée, rhizomatique, pleine de moment fugaces à la limite du clip, sans autre ligne conductrice qu’une question simple : comment en sont-ils et elles arrivé·es là ?
L’action se passe presque autant dans le passé que dans le présent, le récit devenant un vêtement qu’il faudrait sans arrêt défaire puis rapiécer. On peut reprocher à la série son manque de ligne directrice – la tension dramatique n’est pas vraiment recherchée –, mais c’est aussi l’occasion d’apprécier les libertés prises par Christopher Storer avec les règles classiques, à l’ère du streaming en quête de nos attentions. Des cliffhangers ? À peine.
Si The Bear se replonge dans le passé, c’est aussi celui des formes, de ces séries d’auteur qui ont parsemé le paysage depuis deux décennies et sont devenues beaucoup plus rares. Cela donne quelques épisodes merveilleux, concentrés autour de personnages subitement regardés de près : Tina, dont le parcours de femme au chômage “sauvée” par Michael (le frère de Carmy) est superbement relaté en 30 minutes magistrales, ou Natalie, qui finit par ne plus être enceinte et retrouve sa mère, jouée par l’exceptionnelle Jamie Lee Curtis, qu’on n’attendait pas en matriarche post-Cassavetes dévorante.
“Chaque seconde compte”
Fragile, The Bear n’a pas toujours l’ampleur narrative ni l’équilibre nécessaire à ce qu’on attend des chefs-d’œuvre. Cette saison, elle laisse un peu en jachère son héros, qui parait ressasser les mêmes désirs contraints, tétanisé épisode après épisode par une crise créative et les fantômes qui le hantent – comme la série, Carmy semble s’interroger sur son utilité.
Mais la série nous touche, assez profondément, par sa capacité à créer un mouvement narratif dont l’essence serait moins la nostalgie, ou le souvenir, que la sensation du temps perçu comme une matière vivante. Et les abimes qui vont avec. Ici, rien n’est stable, tout est écartelé entre présent impossible, passé révolu et futur invisible. Dans la cuisine de Carmy, un slogan est affiché sous l’horloge : “Chaque seconde compte.” C’est ainsi que vit un restaurant à l’heure du coup de feu, pour ne pas sombrer. C’est aussi un tic-tac vital, existentiel.
En même temps qu’elle montre cette pression de l’instant, qui mine les employé·es, The Bear crée de l’espace pour le recueillement, le passage élastique du temps. Une forme d’éternité lente, reliée à une perpétuelle lutte contre la montre, fait la profondeur de la série. On pensait se lasser, mais voilà que The Bear nous saisit. Et ce n’est pas fini : la quatrième saison a déjà été tournée.
The Bear, saison 3, avec Jeremy Allen White, Ayo Edebiri et Ebon Moss-Bachrach, le 17 juillet sur Disney+.
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