En auscultant l’intimité d’un couple d’espions soviétiques aux Etats-Unis dans les années 80, « The Americans » concourt au titre de grande série.
Il y a trois ans, un météore traversait la galaxie sérielle. Son nom : Rubicon. Son ambition : la révision minimaliste des codes de la fiction d’espionnage dans un monde brouillé par le 11 Septembre. Son destin : disparaître après une saison, officiellement pour audiences en berne mais sans doute, au fond, pour trop-plein de mélancolie. On la regrette encore. On espère toujours la retrouver sous une autre forme, même si c’est évidemment impossible. La très parano Homeland a tenu ce rôle pendant quelques temps, allant jusqu’à débaucher le scénariste principal de Rubicon, Henry Bromell, pour apporter sa touche aux aventures cinglées de Carrie et Brody. Mais la série majeure de ces deux dernières années s’est vite révélée plus maligne que celle qui l’avait précédée, comme si elle avait compris comment donner des gages de séduction pour ne pas connaître le même sort.
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La fin d’hiver teste à nouveau notre amour du genre à travers une autre série d’espionnage paranoïaque post- Rubicon – donc avec moins d’action et plus de tensions intérieures. Son titre, The Americans, est un programme en soi. Un hymne à la patrie ? À voir. Les deux héros ont l’apparence, l’accent et le comportement d’habitants de la banlieue de Washington. La trentaine, deux enfants, une jolie maison, ils forment un couple idéal. Ce sont pourtant des agents soviétiques infiltrés, arrivés aux États-Unis pendant l’adolescence et mariés par décision du KGB ; de pures images de l’Amérique en même temps que des mensonges parfaits. La série débute quand un de leurs collègues décide de collaborer avec le gouvernement US et menace de dévoiler les noms d’autres « cellules dormantes ». L’expression est aujourd’hui familière, associée aux terroristes islamistes. Sauf qu’il n’y a pas l’ombre d’un barbu ici. The Americans est située en 1981, un an après l’élection de Ronald Reagan à la présidence, alors que la guerre froide semble ne jamais devoir se terminer.
On comprend assez vite que le créateur de la série Joe Weisberg, un ancien de la CIA, n’a pas vraiment pour but d’éclairer rétrospectivement les enjeux politico-historiques de la période. Si The Americans utilise des éléments avérés de l’affrontement Reagan/Brejnev, son sujet profond navigue dans des eaux différentes : l’étude d’une structure familiale fondée sur le mensonge. Mariés alors qu’ils ne se connaissaient pas, Elizabeth (Keri Russell, ancienne de Felicity) et Phillip (Matthew Rhys, vu dans Brothers and Sisters) ont eu malgré tout deux enfants ensemble. Ils ont fini par ressembler si fidèlement à leur image qu’ils ne paraissent plus se souvenir si leur relation est réelle ou non.
De manière assez fine, la série attaque cet angle mort. Ce couple à la fois exceptionnel et ordinaire est mis à l’épreuve par petites touches concernant l’éducation des enfants ou l’infidélité. Au fil des épisodes, la question de la duplicité, centrale pour des agents secrets, s’infiltre comme un virus dans leur intimité. Plus qu’à Rubicon, on pense alors beaucoup à Mad Men (et cela n’a rien à voir avec l’agréable touche vintage qui habille les épisodes) ou à un succédané auteuriste d’Alias, avec des personnages plus matures.
Reste à savoir si The Americans s’imposera comme une grande série. Elle en a le potentiel, mais rien n’est tranché. On y trouve pour l’instant un mélange instable entre des situations banales (notamment les passages obligés de la fiction d’espionnage) et des scènes magnifiques, aux niveaux de précision et de complexité dignes des meilleures. Même si elle n’a jamais été la meilleure amie des sériephiles, la patience s’impose.
The Americans chaque dimanche sur FX.
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