Secrets et fissures d’un couple franco-américain à Paris. Hitchcockienne, avec des touches bergmaniennes, « Thanksgiving » rappelle fugacement « The Americans », autre série d’espionnage conjugal.
Un couple commence à se regarder différemment lorsque chacun soupçonne l’autre de mentir. Vincent, patron taciturne d’une société informatique (Grégoire Colin) se demande ce que sa femme, Louise, une blonde hitchcockienne américaine (Evelyne Brochu), peut lui cacher. Alors qu’elle monte sa boîte de location d’appartements parisiens pour riches expatriés,
Vincent goûte aux frissons du piratage de programmes informatiques très puissants. Une fois la piste de l’adultère évacuée, le poids des secrets que l’un et l’autre portent devient si écrasant que leurs liens se délitent. Pourtant, lors de l’annuel dîner traditionnel de Thanksgiving avec leurs ami.e.s, Louise, interrogée sur son expatriation, affirme en anglais : “Ma famille, c’est mon pays.”
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Saada nous fait plonger dans une angoisse bien plus sournoise, celle de comprendre qu’on ne connaît pas la personne avec qui l’on partage notre quotidien
Le créateur et réalisateur Nicolas Saada (ex-critique, réalisateur d’Espion(s) et de Taj Mahal) et sa coscénariste, Anne-Louise Trividic, jouent autour de ces glissements de langue, du français vers l’anglais, de l’indicible au dicible. Ils explorent ces zones intraduisibles au sein du couple, pour capter le trouble qui parfois s’immisce dans les craquelures du vernis bourgeois qui fait tenir la paire.
Saada réussit tout juste à nous tenir en haleine sur trois épisodes en évitant les grosses ficelles de cliffhangers ou les révélations tonitruantes. Il nous fait plonger dans une angoisse bien plus sournoise, celle de comprendre qu’on ne connaît pas la personne avec qui l’on partage notre quotidien. Cette double culture euro-américaine que Vincent et Louise partagent se retrouve dans les influences internationales qui hantent le réalisateur, autant du côté de la Suède que des Etats-Unis. L’ami journaliste qui interviewe le couple pour son article sort des Scènes de la vie conjugale (Bergman), et l’influence d’Hitch se loge autant dans les contours de l’héroïne que dans la musique très orchestrée ou dans une mise en scène qui installe, brique après brique, un suspense suffoquant.
Cette tension se fait parfois aux dépens de la corporéité des acteurs et d’une image qui oublie de filmer leur chair. Mais le plan final du troisième épisode nous donne envie d’être au plus près de leur souffle, nous rappelant pendant quelques instants la beauté d’une autre série qui vient de nous quitter. En six saisons, en se reposant sur la densité des liens d’un couple d’espions russes vivant aux Etats-Unis, The Americans était devenue l’une des plus grandes séries outre-Atlantique.
Suspicion et suspense
Les fantômes de Philip et Elizabeth refont surface lorsque Vincent et Louise se croisent devant un square parisien. Ils savent qu’ils sont sûrement sur écoute, tous les deux en danger, sans vraiment connaître la vérité, ni de la situation ni de la personne qui se tient en face. Alors, Vincent réussit à lire sur les lèvres de Louise une phrase qu’elle ne peut pas dire à voix haute. La seule phrase qui compte vraiment. On quitte le couple le cœur serré, en ayant envie de percer un peu plus leur mystère, en se demandant quelle sera la prochaine série qui nous susurrera des mots aussi doux à l’oreille.
Thanksgiving de Nicolas Saada, avec Grégoire Colin, Evelyne Brochu. Sur Arte le 28 février à 20 h 55 et arte.tv jusqu’au 30 mars
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