Série virtuose du créateur de “The Wire”, “Show Me a Hero” prend le pouls d’une société malade de son racisme à travers le personnage d’un jeune élu américain. Cruel mais fascinant.
Dans la troisième saison de The Wire apparaissait pour la première fois le personnage d’un politicien débutant voué à devenir rapidement le maire de Baltimore. Tommy Carcetti brillait à la fois par son audace, son sens tactique et son sourire. Personne, ou presque, ne pouvait l’arrêter. David Simon, créateur de cette grande série parmi les grandes séries, observait le garçon ambitieux avec un mélange de fascination et de cruauté quand, lancé dans le bain à remous des luttes de pouvoir locales, il apprenait pas à pas à vivre avec la réalité.
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Virtuosité et précision
Une décennie plus tard, Tommy Carcetti a désormais un successeur, même si l’angle d’attaque s’avère foncièrement différent. Nick Wasicsko est la figure de proue de la nouvelle minisérie de David Simon, Show Me a Hero, dont les six épisodes s’inspirent de l’enquête journalistique poussée de Lisa Belkin parue en 1999.
Celui qu’interprète le rutilant Oscar Isaac (vu dans Inside Llewyn Davis des frères Coen) a été élu en 1987 maire de Yonkers à l’âge de 28 ans, le plus jeune des Etats-Unis.
Voici une histoire de politique et de géographie. Une histoire de géographie politique, plus précisément. A la fin des années 80, Yonkers, dans l’Etat de New York, se voyait imposer par la justice la construction de deux cents logements sociaux.
Une lutte de pouvoir complexe avait suivi, les politiques s’écharpant sous l’influence d’une partie de la population (blanche) opposée à ce projet, craignant l’arrivée de familles (noires) suscitant tous les fantasmes. Ahurissant ? Réaliste, plutôt, et totalement actuel.
Une traversée du corps social
Un blocage suivit, gravissime, aux relents de racisme basique contre la déségrégation. Show Me a Hero raconte comment Wasicsko a voulu conquérir le pouvoir malgré l’extrême complexité de la situation et comment il a voulu l’exercer, avant que la crise ne devienne insupportable.
Par ses ramifications ethniques, idéologiques, sa manière de traverser le corps social américain, ce sujet représente un terreau familier pour le scénariste de The Wire, épaulé ici par son compère William F. Zorzi, qui a travaillé dix ans sur le projet. Assez vite, Show Me a Hero captive d’ailleurs par sa virtuosité et sa précision dans un art, la minisérie, que David Simon maîtrise comme peu d’autres – The Corner et Generation Kill représentaient déjà des sommets du genre.
Le maître du slow burn (infusion lente) est clairement de retour. Le travail de Paul Haggis à la réalisation, que l’on craignait un peu, se fond dans le moule, presque invisible – dans le bon sens du terme.
Le portrait d’un homme et d’une ville
Avec un sens consommé de l’accélération douce et de l’ellipse (la série, qui débute en 1987, laisse passer quelques mois entre chaque épisode), se façonne à la fois le portrait d’un homme et celui d’une ville, tiraillée par des luttes de territoire.
Le récit prend ses aises et étend sa toile, ne s’intéresse pas seulement aux principaux protagonistes de l’affaire mais divague jusqu’à l’intérieur des vies de quelques hommes et femmes directement concernés : un couple de quinquas bourgeois opposés au projet, une mère des quartiers pauvres bientôt seule et en galère pour élever son enfant.
Dans le chaos des choix politiques
Le bruit et les odeurs d’un espace urbain transpirent de chaque coin de l’écran, mais chez David Simon, ce sont d’abord des vertus, des signes de vie persistant dans le chaos des choix politiques et des ressentiments humains.
Dans les quatre premiers chapitres que nous avons pu voir, la grande intelligence de la série est de ne pas faire de son personnage central un militant immédiatement lisible dans ses intentions. Au départ, Wasicsko cherche simplement à se faire élire.
Pessimisme ultrasensible
Ce n’est qu’à force d’éprouver la vérité d’une situation et de vieillir à vitesse grand V sous nos yeux qu’il se construit une opinion fondamentale. En quelques heures de fiction, presque mine de rien, nous assistons à la naissance d’une conscience – sur fond de chansons du Boss Springsteen, omniprésentes.
La manière dont cette conscience se voit mise en danger par les calculs des uns et des autres ou les turpitudes de la cité devient fascinante. Ici, la cruauté de la vie qui frappe et la solitude du pouvoir ne sont jamais ignorées, mais embrassées dans une sorte de pessimisme lucide et ultrasensible.
“Show me a hero and I’ll write you a tragedy” (“Montrez-moi un héros et je vous écrirai une tragédie”), dit la phrase de Fitzgerald qui a inspiré le titre. Les injustices, quelles qu’elles soient, s’étalent, décortiquées dans leurs dimensions structurelles et personnelles. Séduisante, comme rarement un show de David Simon ne l’a été – la reconstitution de la fin des eighties n’y est pas pour rien –, Show Me a Hero ne perd jamais en profondeur et impose sa réflexion subtile autour de la question de l’habitat. Qui habite quoi ? où ? avec qui ? “Les gens veulent juste une maison”, entend-on au détour d’une conversation. Et c’est parfois l’essence de la vie.
Show Me a Hero minisérie en six épisodes de David Simon. Depuis le 17 août, chaque lundi à 20 h 40 sur OCS City
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