L’acteur français effectue de brillants débuts sur le sol américain en interprétant l’agent spécial Ali Soufan dans The Looming Tower, une nouvelle série qui montre en quoi la rivalité FBI/CIA aurait favorisé la mise en œuvre des attentats du 11 Septembre. Nous l’avons rencontré pour évoquer son expérience du tournage mais aussi son rapport à cet événement aussi tragique que fondateur dans l’histoire du XXIe siècle.
Est-ce que le fait de participer à une série sur un tel événement ne t’a pas fait un peu peur dans un premier temps?
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Oui, c’est sur. Mon agent m’a appelé et il m’a dit “Il y a une série sur le 11 Septembre qui se fait et la production te veut dans le rôle principal”. Je lui ai tout de suite répondu non car je n’avais pas envie de me retrouver dans quelque chose de cliché. Il a essayé de me convaincre du contraire en m’envoyant le scénario des deux premiers épisodes. Et il avait raison. J’étais extrêmement surpris que la production ose déjà raconter cette histoire de cette manière-là, avec une vraie portée documentaire et critique vis à vis des institutions américaines. Mais j’avais besoin de parler avec eux car je ne me suis jamais engagé sur une partie de lecture et les autres épisodes n’étaient pas encore écrits à ce moment-là. Donc j’ai parlé avec Dan Futterman et Alex Gibney (les producteurs exécutifs de The Looming Tower, ndlr) par skype. Pourtant, j’avais encore des doutes après cet entretien, notamment par rapport à ma capacité à tomber amoureux d’un tel projet. Mon agent m’a alors mis directement en contact avec Ali Soufan (le véritable agent du FBI que Tahar Rahim incarne dans la série – ndlr) qui m’a raconté toute son incroyable histoire. A ce moment-là, j’ai été convaincu et il ne me restait plus qu’à aller là-bas pour rencontrer en personne les gens avec qui j’allais passer huit mois à faire ce show.
Etait-ce un rêve de tourner aux Etats-Unis?
Ce n’était pas un rêve. Mon rêve c’est d’être acteur et cela englobe tous les territoires. J’ai travaillé avec des réalisateurs du monde entier, comme Fatih Akin, Asghar Farhadi ou Kiyoshi Kurosawa. Cette arrivée aux Etats-Unis est cohérente avec mon parcours. Avant aujourd’hui, je n’étais peut-être pas prêt, parce que pour jouer un citoyen américain, il faut être crédible. J’ai énormément bossé sur la langue. Pendant deux mois, je faisais quatre heures d’anglais par jour, et aussi deux heures d’arabe. Et franchement, j’avais plus peur de parler arabe qu’anglais. Je me dois d’être crédible autant pour le public américain que pour le public libanais.
Oui, d’autant que ta peur des clichés a failli te faire refuser le projet…
Exactement. J’ai refusé énormément de projets aux Etats-Unis pour cette raison. Pendant un temps, j’avais soit des propositions de rôles d’Arabes, soit de rôles de petits Français minets. J’ai attendu d’avoir un projet qui m’excite vraiment et je ne le regrette pas.
La méthode de travail américaine t’a-t-elle paru très différente d’un tournage français?
Ils ont plus de moyens déjà, ce qui amène plus de qualité sur un projet comme celui-là. Mais ce qui m’a plu, c’est l’absence d’affect dans le travail artistique. Cela ne les empêche pas d’être aimables mais ils sont là-dessus diffèrent d’un cinéma français qui est très vite dans l’affectif je trouve, notamment dans la relation acteur-réalisateur. Ce n’est pas mieux, c’est juste très diffèrent. Et je crois que cela me convient bien.
Où étais-tu le jour où les avions ont frappé les deux jumelles?
J’étais dans ma ville natale de Belfort, dans un petit magasin de fringues. J’entends à la radio qu’un avion s’est écrasé dans une des tours du World Trade Center. A ce moment-là, le média ne sait pas encore si c’est un attentat ou un accident. Je cours à la FNAC pour avoir accès aux images. Au moment où j’arrive devant les écrans, je vois le second avion qui vient frapper la deuxième tour. Rien que d’en parler, ça me redonne des frissons. Je me souviens parfaitement des images. C’est tellement irréel, inimaginable en fait. Cela relève d’une scène de blockbuster hollywoodien. J’ai du mal à réaliser ce que je suis en train de voir. Il m’a fallu trois-quatre heures pour comprendre ce qui venait de se passer. Et là d’un coup, c’est terrifiant parce que j’ai le sentiment que ça va être la troisième guerre mondiale. Après ça, on a été bombardé d’images et de témoignages pendant des semaines et des semaines. Il y a notamment une image qui m’a vraiment marquée, celle des victimes qui ont sauté des tours, dans le vide, après avoir fait un choix entre deux manières de mourir. Je n’arrive pas à me représenter l’’horreur du cheminement psychologique d’une telle décision.
17 ans après les faits, penses-tu qu’il s’agit d’une temporalité juste pour traiter d’un tel sujet?
Je pense qu’il y a suffisamment de distance pour créer cette série, oui. Après, il y aura toujours de la polémique car on réveille quelque chose qui va sans doute remuer le peuple américain. Mais au-delà des théories du complot, certaines réponses n’ont pas encore été données. C’est une bonne chose que la lumière soit faite sur ces événements.
En vivant à New York pendant plusieurs mois pour le tournage, as-tu perçu des résidus de la catastrophe dans la ville?
Après 17 ans, non. Après les attentats de Paris, je me rappelle qu’une atmosphère un peu étrange régnait dans les rues pendant peut-être près d’un an. Cette période a peut-être été plus longue à New York au vu de l’ampleur de la catastrophe mais, après 17 ans, elle n’est plus palpable dans la rue, sauf peut-être aux abords du mémorial.
Quand as-tu regardé les tours s’effondrer pour la dernière fois?
Je les ai vues pendant la préparation du tournage. J’ai aussi découvert des images que je n’avais pas vues, notamment les vidéos surveillance des terroristes qui passent les portiques de sécurité à l’aéroport. Je trouve que ce sont des images qui ne s’usent pas. Elles sont toujours aussi impressionnantes des années après.
En quoi la menace terroriste influence-t-elle ta vie quotidienne ?
Ma philosophie de vie veut que je me dise que le jour où l’on doit partir, on part. Donc je ne vais pas m’empêcher de prendre l’avion ou d’aller voir un match de foot par peur du terrorisme. J’ai décidé de vivre comme ça après les attentats de Charlie Hebdo, parce qu’après ça, j’avais remarqué que j’avais peur de marcher dans la rue et je ne le supportais pas. Et puis malheureusement, la menace terroriste fait maintenant partie de notre quotidien. On sait qu’il y aura à nouveau des attentats à New York, à Paris et même dans toutes les grandes villes du monde. C’est une réalité, il faut apprendre à vivre avec.
Etait-ce important pour toi de donner avec ton personnage une certaine vision de l’islam?
Oui, comme c’est une poignée de tarés, de fanatiques religieux, qui n’ont rien à voir avec un musulman lambda, qui sont à l’origine des attentats. Il fallait que j’évite à tout prix de rentrer dans un cliché. C’est la raison pour laquelle je trouve cette série hyperintéressante et très juste. Dans la réalité, Ali n’est pas croyant. Mais on a décidé de rajouter ça dans la série, pour montrer que plus le personnage étudie la façon dont l’islam est détourné, plus il s’en rapproche. Cette portée religieuse est venue en chemin, elle n’était pas présente au début. Dans une scène finale, Ali interroge le chef de le sécurité de Ben Laden et il finit par le retourner en lui donnant un cours de théologie. Voir ça à la télévision américaine est incroyablement fort je trouve !
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