Dépénalisation, adoption du Pacs, mariage pour tous : trois épisodes pour relater trois moments de tension de la société française sur la question de l’homosexualité. La série est attendue sur ARTE en 2018.
La chaleur de juin a pris les corps par surprise cette année. C’est sous cette météo lascive que le tournage de la minisérie Fiertés de Philippe Faucon, consacrée aux luttes homosexuelles depuis 1981, se termine. Quelques jours avant l’heure dite, nous nous glissons sur le plateau, où l’habituelle chorégraphie des techniciens a lieu dans un concert de murmures.
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L’atmosphère est aussi calme que dans une colonie de chats. La canicule n’est pas seule responsable, car le boss des lieux donne lui-même l’exemple. Entre les prises, le réalisateur s’adresse aux acteurs présents (le jeune Benjamin Voisin, Frédéric Pierrot, Emmanuelle Bercot) d’une voix douce, s’agenouille auprès d’eux pour imaginer en quelques secondes d’infimes modulations. Il assied aussi une méthode, enchaînant nonchalamment et sans transition un compliment (“Ça marchait très bien”) avec l’ombre d’un doute (“Ça allait trop vite”). De l’art de tordre les acteurs pour toucher au but.
“J’ai accepté un petit rôle en partie pour le voir travailler, avoue la réalisatrice et actrice Emmanuelle Bercot. Son style ‘invisible’ est très construit. Le travail des comédiens n’est pas facile : il faut être très ‘blanc’ dans le jeu, mais aussi se montrer naturel. J’ai dû éliminer tout ce que je cherche à apporter en tant qu’actrice et que je capte dans les films que je réalise : des gestes, des attitudes, des scories. Ici, il n’y a pas d’intention de jeu mais une forme de dépouillement. La première prise que j’ai faite, j’ai eu l’impression d’être moi-même – il paraît que j’ai un visage très expressif. Philippe m’a dit : ‘On va refaire la même, sans les mimiques’…”
Une œuvre discrète, mais toujours en prise avec la société
Comme souvent chez l’auteur de Fatima, la scène tournée ce matin-là pourrait n’avoir l’air de rien. Sur la terrasse d’une maison de ville du XXe arrondissement de Paris, deux parents et leur fils sont assis à la table du petit déjeuner. Une tension s’immisce, l’ado quitte les lieux, bientôt suivi par son père. C’est tout. Mais les gestes sont précis et les paroles pesées.
Faucon semble accorder la même importance à ce micromoment d’une vingtaine de secondes qu’il en donnerait à une grande révélation. Son sens de la hiérarchie n’est pas le sens commun et c’est probablement ce qui captive dans son travail depuis un quart de siècle.
Bercé par les films de Robert Bresson, le bientôt sexagénaire a construit une œuvre d’abord discrète (on se souvient du très beau Samia, en 2000), qui a décollé en notoriété dans les années 2010 par collusion avec les préoccupations d’une France métissée et diverse qu’il sonde depuis toujours. La Désintégration (2011) racontait la radicalisation jihadiste de jeunes hommes d’origine maghrébine, tandis que le lumineux Fatima, sur le destin d’une femme de ménage et de ses filles, lui a valu le César du meilleur film en 2016.
Le périple d’un couple en forme d’épopée
Avec Fiertés, le réalisateur opère en apparence un léger déplacement. Sur une idée des scénaristes José Caltagirone et Niels Rahou (qui ont coécrit avec Faucon après avoir rédigé un traitement), les trois épisodes racontent l’histoire d’une famille et d’un amour gay sur plus de trente ans.
Le premier volet se déroule au moment de la dépénalisation de l’homosexualité en 1981, le deuxième à l’adoption du Pacs en 1999 et le troisième en 2013, alors que le mariage pour tous entre dans la loi après les difficultés que l’on sait.
Sous cette trame historique se dessine le périple du couple que forment Victor et Serge, dont la différence d’âge de dix-huit ans n’empêche pas la construction d’une longue épopée. Il est question ici de sida, d’enfants adoptés, de discriminations au sein de la cellule familiale, avec comme moteur le passage du temps, l’évolution des corps et des mœurs.
Se démarquer d’autres fictions à l’univers proche
“Il y a une belle bande d’acteurs et des choses à défendre politiquement”, analyse le comédien et metteur en scène de théâtre Stanislas Nordey, qui n’avait plus montré son visage à une caméra depuis N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois, en 1995. “Ici, le militantisme est incarné par la vie, ajoute Samuel Theis, qui interprète Victor dans les épisodes 2 et 3. Il y a tant de gens qui ont des désirs simples qu’il faut les représenter.” Frédéric Pierrot, Chiara Mastroianni, Jérémie Elkaïm, Sophie Quinton et Loubna Abidar complètent le casting.
Interrogé sur l’existence d’autres fictions traitant d’un univers proche comme la récente When We Rise aux Etats-Unis, écrite par Dustin Lance Black et dont le pilote a été réalisé par Gus Van Sant – sans compter le magnifique 120 battements par minute de Robin Campillo côté cinéma –, Philippe Faucon précise son désir.
“Fiertés raconte trois périodes politiques qui sont aussi trois moments de tension et de crispation dans la société française autour de la question de l’homosexualité. La série permet de prendre un recul intéressant sur des choses dont on a perdu conscience. 1980, c’est une période que j’ai connue comme étudiant. J’avais des amis en lutte contre ces états de fait de la société.”
“Des parents, à l’époque, pouvaient demander l’internement psychiatrique de leur fils ou de leur fille. Ce sur quoi nous avons vraiment travaillé, ce sont les personnages, ce qui les lie, leurs sentiments, les raisons pour lesquelles ils agissent. Des histoires amoureuses, avec leurs difficultés, que la société ou le regard des autres compliquent. La dimension politique ici n’est pas dans le militantisme, mais dans la revendication et l’affirmation de l’intimité.”
Trouver un rythme plus rapide, celui de la série
Ces mots résonnent avec la plupart des films de Philippe Faucon, qui n’a cessé de chercher dans les interstices de vies souvent banales quelque chose d’une émancipation. “La thématique de Fiertés, je me rends compte que je l’ai déjà abordée dans deux films pour la télévision : Muriel fait le désespoir de ses parents, qui montrait l’éveil au désir lesbien d’une adolescente, et Les Etrangers, sur un jeune homosexuel qui pour fuir sa famille se portait volontaire au départ en Bosnie.”
“Ce qui lie ces personnages à ceux de Fiertés, c’est qu’ils ont à s’affirmer contre un regard qui les assigne et les enferme. Il y a peut-être aussi des points communs avec d’autres figures de ma filmographie. Sabine et Samia ont eu à défendre une part d’elles-mêmes qui n’était pas reconnue, mais au contraire entravée. C’était même le cas de Fatima.”
En tournant trois épisodes de cinquante minutes en trente-six jours, l’habitué des plateaux de cinéma a dû se faire violence, trouver un rythme plus rapide sans pour autant renoncer à sa touche. “De mon point de vue, ce sont de vrais plans, du vrai jeu”, précise l’intéressé. Et une vraie série ? La question n’est pas centrale pour Faucon, qui admet une culture très limitée du genre.
“Par goût et par manque de temps – j’ai toujours des films à rattraper –, je n’ai jamais vraiment regardé une série entièrement. Je me retrouve à pratiquer une forme qui est assez loin de moi et de mon histoire. Comme je suis toujours un peu intéressé par ce qui m’est étranger, c’est un détour que j’ai bien aimé faire.”
Au moment du scénario, il lui a fallu intégrer quelques règles dont il n’avait pas une grande connaissance. “Dans l’écriture d’une série, il se passe toujours un événement, alors que moi je fais des choses qui sont d’une certaine façon à l’opposé.” L’art de filmer les temps morts et les dramaturgies à contretemps constitue pourtant l’essentiel créatif des séries contemporaines dites d’auteur depuis près de deux décennies. Comme Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme faisait de la prose sans le savoir, Philippe Faucon pourrait revamper les séries françaises sans vraiment le vouloir. Réponse sur Arte, en 2018.
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