Toujours impeccablement ouvragée, la deuxième saison de « Stranger Things » prolonge le geste de la précédente avec une générosité immense et un amour sans borne pour ses personnages. (Spoilers)
Cet article comporte des révélations sur la série Stranger Things, en particulier sa deuxième saison.
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Il y a un an, les frères Duffer, nés dans les années 80, avaient conquis par surprise la planète séries en lui offrant un récit fantastico-horrifique magnétisé par le souvenir nostalgique de cette décennie. S’emparant à bras le corps des références de toute une génération, ils les faisaient infuser dans chaque pore de leur édifice, de l’image à la bande son et des décors aux costumes, tout en gardant une sincérité, un geste d’artisan et une hauteur de regard les prévenant de tout cynisme.
Aller-retour en Upside Down
Car Stranger Things, à l’instar d’ET, des Goonies et plus récemment de Super 8, son cousin cinématographique, se dévoile à l’échelle et au rythme de ses protagonistes, une bande de kids attachants dont l’insouciant quotidien, fait de parties de Donjon et dragons et d’escapades à vélo, prenait une noirceur inattendue suite à la disparition mystérieuse de leur ami Will. Rejoints par Eleven, une jeune fille aux pouvoirs surnaturels, et avec l’aide du chef de la police locale Jim Hooper, ils parvenaient en huit épisodes aussi élégants qu’effrayants à sortir le garçon de l’Upside Down, terrifiant négatif du monde, hanté par des créatures de cauchemars.
Mais le dénouement, réchauffé par ces retrouvailles, n’était pas réellement optimiste, et laissait personnages et spectateurs face à un monde blessé. Eleven avait disparu, le portail vers l’Upside Down restait ouvert, et Will portait évidemment les stigmates de son voyage en Enfer. C’est depuis ces auspices tourmentés que s’est élaborée la deuxième saison de Stranger Things, censée répondre à mille questions sans fermer de porte, approfondir son univers sans perdre le charme de son essence, et transformer le coup d’éclat brillant en un édifice narratif dense et durable. Que les fans de Dustin, Mike, Lucas, Will et Eleven se rassurent : l’exercice est relevé haut la main.
Élargir un monde avec humilité et générosité
Le succès immense et inattendu de Stranger Things a évidemment placé ses créateurs et jeunes interprètes sous le feu des projecteurs, et engrangé une cohorte de propositions alléchantes pour la saison 2, entre budget décuplé et foule de visages connus se pressant au portillon des caméos et nouveaux rôles secondaires. Si la promotion virale intense de ce come back laissait présager une forme plus ample et spectaculaire, la surenchère est soigneusement évitée, en partie grâce à un cap scénaristique étonnant. Plutôt que d’ouvrir un nouveau chapitre de leur jeune édifice ou de tenter un remake XXL du premier arc narratif, les Duffer brothers, flanqués à la mise en scène de surprenants comparses(entre autres Shawn Levy, réalisateur des Nuit(s) au musée, et Andrew Stanton, papa de Nemo, Wall-E et Toy Story) optent pour une saison en forme d’excroissance ludique à greffer sur la première.
https://youtu.be/_jUYZPLYjhc
Cette manière quasi-organique de tisser une nouvelle intrigue sur les brèches et les prises de la précédente opère un double mouvement d’exploration et de guérison. L’univers de la série prend ainsi l’ampleur d’une mythologie en s’élargissant en cercles concentriques : la petite ville d’Hawkins est cartographiée en surface et perforée de tunnels en profondeur, Eleven s’offre une virée à Chicago en forme de récit d’apprentissage mâtiné de crise d’ado, et l’Upside Down semble tutoyer le réel de façon plus poreuse que jamais. Dynamique référentielle oblige, le combat contre les forces obscures agrège de nouveaux pans de l’imaginaire cinématographique et culturel commun, de la saga Alien (la forme et le fonctionnement des créatures maléfiques) à l’univers X-Men (les freaks-prodiges torturés dont fait partie Eleven, issus des expérimentations les plus sombres du projet MK-Ultra).
À l’image de son climax, qui voit Eleven refermer le portail qu’elle avait involontairement ouvert dans la saison 1, cette deuxième saison s’attache également à combler les brèches de la première, à rendre justice à certains personnages sacrifiés (Barb) et à en faire grandir d’autres (Dustin ou Steve), à faire sourire la jadis tourmentée Joyce Byers et à offrir à Jim Hooper une nouvelle forme de paternité. Loin du cynisme racoleur que certains ont pu reprocher à la série, c’est une extrême bienveillance qui semble aiguiller chacun de ses épisodes, une volonté de sauver les êtres secouée qu’ils abritent, de réparer patiemment le traumatisme qui les hante. Et tant pis (ou tant mieux) s’il faut neuf épisodes pour cela.
Peurs ancestrales et nouveaux héros
Le retour à Hawkins a ceci de surprenant que rien, malgré la terrible interpénétration des mondes qui s’y est jouée l’année précédente, ne semble avoir changé – du moins en apparence. Si deux très beaux nouveaux personnages font leur apparition (« Mad » Max, petite rouquine fonceuse qui ne laisse pas nos héros indifférents, et Bob, attachant compagnon de Joyce), le Mal suinte toujours aux commissures du réel, gangrène l’innocence comme un virus. En résulte une inconfortable sensation de se tenir à cheval entre deux mondes, « comme quand un projecteur se bloque entre deux diapositives », expliquera le pauvre Will Byers, désormais pourchassé par une entité gigantesque, tentaculaire et vaporeuse qui semble régner sur l’Upside Down.
https://youtu.be/XferRaY5ljk
Plus que les traitements des médecins et les lance-flammes des soldats, ce sont les émotions de l’enfance, véritables boussoles de la série, qui feront triompher in fine la lumière sur les ténèbres. Soudés par une amitié sans borne, nos petits héros gardent dans les heures les plus sombres et face aux plus terrifiant des cauchemars leur propension à la curiosité et à l’émerveillement. Celle qui leur permet de soigner et de nourrir Dart le « demo-dog » au mépris du danger, de risquer leur vie dans une invraisemblable diversion ou de faire demi-tour pour secourir ses amis dans la tourmente. Malgré un dernier plan formidable tenant plus de clin d’œil que de la véritable piste narrative, l’insouciance semble avoir retrouvé sa place à Hawkins. Et si notre âme de spectateur se réjouit à l’idée d’une troisième saison, notre cœur d’enfant aimerait que Will, Dustin, Eleven, Mike, Lucas Max et les autres en profitent le plus longtemps possible.
Stranger Things saison 2, disponible sur Netflix.
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