Comment finir ? Comment laisser derrière soi une période de sa vie, aussi cataclysmique soit-elle ? Voilà la question que se posent cet été personnages et spectateur·trices de Stranger Things, l’odyssée nostalgique des frères Duffer enclenchée depuis 2016. Déjà six ans !? On n’en revient pas vraiment.
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Dans les deux derniers épisodes de la saison 4, mis en ligne le 1er juillet, quelques images des débuts affleurent. “Je crois que je suis dans un souvenir”, se rend compte Eleven, en pleine montée de sève pour sauver le monde, mais d’abord occupée à ressentir les choses de manière intime. Et que voit-elle ? Son visage et celui de quelques autres à l’entrée de l’adolescence, alors que désormais elle s’apprête à en sortir définitivement. Ce qu’auront traversé les un·es et les autres dans la série ? L’accès douloureux à l’âge adulte, sans aucune certitude durable sur la suite. Après cette quatrième saison intense, il restera une dernière salve à diffuser (probablement en 2024), quand tout le monde aura franchi la barrière.
L’émotion sera forcément présente, mais cela fait-il encore de Stranger Things une grande série ? Après deux premières saisons au-dessus du lot, il faut reconnaître que quelque chose a stagné. Les Duffer ont toujours mêlé un hommage karaoké aux images de leur enfance – les années 1980 spielbergiennes mais aussi horrifiques – avec un récit d’apprentissage collectif assez fort, peuplé de monstres et de peurs, que Max, Lucas, Mike, Dustin, Will et les autres ont traversé intensément. Mais on s’est un peu lassé du combo pourtant brillamment tissé, avec le sentiment que la machine fictionnelle mise en place avait échappé à ses créateurs, pas forcément dans le bon sens. Cette avant-dernière saison l’illustre de manière assez limpide.
The Upside Down
Les Duffer ont pris la décision de remettre sur le devant de la scène le fameux monde à l’envers, où les ados se perdent et où l’horrible méchant du moment, Vecna, fomente son sinistre dessein, rien moins que détruire nos vies. Sauf qu’à force d’y entrer comme dans un moulin et d’y passer un temps fou, une part du mystère et du saisissement originels s’est éteinte. Les frères ont aussi décidé de revenir une fois de plus sur le martyr de Eleven, d’une façon parfois belle mais aussi très répétitive. Ce sentiment de voir et revoir des scènes mille fois nous a saisi.
Dans les deux derniers épisodes, la série a montré qu’elle conservait de très beaux restes avec des scènes puissantes, surtout au cœur de l’avant-dernier, impressionnant dans ses ruptures de ton entre comédie potache, pur trip ado et terreur primale. Stranger Things trouve son ADN dans cet enchevêtrement dont l’équilibre tient malheureusement à un fil… souvent rompu. Avec des épisodes ultra longs – le dernier dure près de 2h30 ! –, ce n’est pas vraiment étonnant.
Symbole de l’âge d’or de Netflix
Souvent, la sensation domine que la série cherche à la fois à tenir son public captif et à le “respecter” en donnant toutes les réponses aux questions qu’il peut se poser. On se souvient avoir parlé il y a cinq ans au créateur de Mad Men, Matthew Weiner, qui mettait en garde contre cette tentation, expliquant qu’il s’agissait du meilleur moyen de se planter. “Ne donnez surtout pas au public ce qu’il veut”. Les Duffer viennent d’une autre planète, celles des fans et des séries post-âge d’or des années 2000. Ils n’ont pas le même rapport aux histoires. Leur série est ultra personnelle, aussi personnelle que l’était la saga triste de Don Draper pour Weiner, mais ils ont sans doute plus peur que lui de ne pas proposer un spectacle lisible et complet. Stranger Things se déploie comme une série sans hors-champ, ou si peu. Tout y est présenté, dit et redit. C’est parfois sa générosité, mais c’est surtout sa limite sur le long terme, quand aucune image ne nous manque.
Dans le magma des séries événementielles, on garde bien sûr une affection pour ce produit de l’époque la plus désirable de Netflix – le milieu des années 2010 –, quand la boussole créative de l’époque se jouait sur la plateforme. De toute évidence, les temps ont changé. Les Duffer n’y sont pour rien et surtout ils s’en fichent. Ils continuent d’avancer comme si de rien n’était, les visionnages et les dollars suivent – combien de millions par épisode ? –, tout leur est autorisé. Personne ne leur dit de faire un peu plus court ou de supprimer des rebondissements inutiles. Ce sont des gens trop occupés qui filment d’autres gens trop occupés, les ados et les adultes de Hawkins, en lisière du chaos. On les suivra jusqu’au bout, en gardant quand même l’idée qu’ils auraient pu gesticuler un peu moins. Comme le mettait en exergue ce journal dans ses premières années, citant Jacques Tati : “Trop de couleur distrait le spectateur”. Le réalisateur de Playtime n’a jamais vu Stranger Things, mais qui peut dire qu’il n’avait pas raison ?
Stranger Things saison 4 Volume 2. Sur Netflix.
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