Mobilisant les puissances de l’art dans un futur post-pandémique, cette mini-série ambitieuse insuffle un renouveau humaniste à un genre sclérosé.
Alors qu’il interprète Le Roi Lear à Chicago, Arthur Leander est foudroyé par une crise cardiaque. Après avoir tenté de le ranimer, Jeevan Chaudhary, qui assistait à la représentation, prend sous son aile Kirsten, une enfant actrice perturbée par le décès dont elle vient d’être témoin. Au même moment, un virus commence à se propager dans la ville. Il mettra moins de trois semaines pour décimer 99% de la population mondiale.
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Une série post-apocalyptique qui déjoue les attentes du genre
Un corps s’effondre, le verbe persiste : les vers de Shakespeare continueront de sonner dans le sillage de la Symphonie itinérante, une troupe d’artistes qui recueille Kirsten et rend visite aux communautés survivantes pour entretenir la flamme des œuvres d’avant la catastrophe.
Un monde se meurt, tout reste à construire : c’est à cet ouvrage collectif que se noue l’intrigue de Station Eleven, mini-série de science-fiction créée par Patrick Somerville d’après le roman d’Emily St. John Mandel. Commandée par le service de streaming HBO Max, elle hérite en France d’une diffusion confidentielle sur la chaîne Syfy. On aurait tort de ne pas se laisser embarquer dans ce voyage inattendu, dont la dimension tragique est éclaircie pas un prisme profondément humaniste.
Inattendu, car la série, qui s’inscrit dans le genre embouteillé du survival post-apocalyptique, ne cesse d’en déjouer les schémas narratifs et les codes visuels. Comme dans The Walking Dead, la logique de survie révèle parfois les pires instincts, mais il est avant tout question de la capacité à (re)faire communauté. Comme dans Utopia, une mystérieuse BD renferme certaines clefs du mystère, mais ses mots servent à tenir debout et non à tuer.
L’art comme mode de survie et vecteur de réinvention
En faisant du décès d’Arthur Leander le point nodal de son récit, elle déploie une arborescence dramatique foisonnante, distille ses révélations au fil d’une chronologie éclatée sur plus de trente ans et emprunte de chemins de traverse dont l’évidence poétique finit par nous éclater à la figure. À l’esthétique de la ruine qui gangrène les productions contemporaines, elle oppose une éthique du rapiéçage, dans un mouvement qui modèle les costumes et décors comme la composition des plans.
Plus que le gouffre qui sépare les mondes d’avant et d’après, c’est à ce qui les relie que s’attache Station Eleven, scrutant la persistance de certaines habitudes où le devenir-reliques des artefacts technologiques. Préférant le raccord à la coupe, la série produit d’émouvantes étincelles en croisant les visages d’hier et d’aujourd’hui, juxtaposant en un battement de cils une vue urbaine et son futur, rendus à la végétation, reliant en un panoramique consolatoire un personnage et ses proches disparu·es.
Si elle évoque inévitablement certains aspects de la pandémie de Covid, et résonne avec l’angoisse de l’effondrement qui agite nos sociétés contemporaines, Station Eleven s’attache à l’humanité qui scintille au cœur du désastre – mains tendues à des inconnu·es, réconfort désintéressé. Sans diluer le tragique de la catastrophe, elle oppose une image de vie à chaque image de mort, et rêve un futur où l’art constitue autant un mode de survie qu’un vecteur de réinvention.
Station Eleven, de Patrick Somerville, avec Mackenzie Davis, Himesh Patel, Gael García Bernal, Matilda Lawler… Sur Syfy.
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