L’épisode spécial de la série interprétée par Benedict Cumberbatch a suscité des critiques. Le héros le plus stylé des séries british commence-t-il à décliner ?
Est-ce l’alcool et autres substances flottant encore dans les veines des spectateurs anglais au lendemain du réveillon de la Saint-Sylvestre ? La lassitude classique de l’amateur de série devant le passage du temps ? Sans doute un savant mélange des deux. Toujours est-il que la diffusion d’un épisode spécial de Sherlock – servant a priori de pont entre les troisième et quatrième saisons – a agité les plus de huit millions d’âmes figées devant BBC One le premier soir de l’année.
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Le héros de Conan Doyle, relooké par les scénaristes Steven Moffat et Mark Gatiss à partir de 2010, n’était plus réapparu sur les écrans depuis deux ans. La vitesse semblant être devenue un critère de qualité chez les spectateurs à l’amnésie facile, ce long break dû à l’indisponibilité des uns et des autres (et notamment mister Benedict Cumberbatch, acteur principal devenu star mondiale, qui vient de tourner le blockbuster Doctor Strange) a probablement fait du mal à la série. Et prêté le flanc aux critiques plus ou mois bien intentionnées, pointant la manière qu’aurait subitement Sherlock de tourner en rond, dans un méli-mélo d’autoréférences plus ou moins cryptiques.
Rêves provoqués par la drogue
Le pari du duo Gatliss/Moffat est pourtant assez audacieux dans cet épisode atypique, au-delà même de son statut intermédiaire entre saisons. Pour la première fois, l’exalté et instable Sherlock se déplace dans le temps. Grâce à des rêves provoqués par la drogue, l’une de ses meilleures amies de toujours, il se retrouve en 1895, au moment où les romans et nouvelles de Conan Doyle dominaient ce qu’on n’appelait pas encore la pop culture – une référence est même faite par l’indispensable Watson au magazine The Strand, où furent d’abord publiées les aventures de Sherlock Holmes.
Jusqu’à présent, la série avait fait de sa marque de fabrique une inscription dans l’Angleterre contemporaine. Ce manquement au pacte initial de la fiction la ramène vers une imagerie plus familière – le drame en costumes, pilier de la télé british – à laquelle elle veut tordre joyeusement le cou à coups de répliques cinglantes et de distanciation stylée. Si l’intention est bonne, son exécution se révèle cette fois un peu inégale, car source de confusion.
Couche supplémentaire autourbillon narratif
Virevoltante par nature, jouant sans répit de fausses pistes et d’illusions, Sherlock ajoute avec ce retour en arrière une couche supplémentaire à son propre tourbillon narratif. Cette approche peut dérouter, dans le mauvais sens du terme. Avant, la série brillait par son équilibre vertigineux, comme un oxymore en action. Dans cet épisode titré “The Abominable Bride”, le tangage permanent du sens fonctionne par intermittence, mais pas avec la grâce à laquelle nous avait habitué Sherlock.
C’est le signe que la série se trouve à un tournant, dont on ne peut pas encore deviner s’il marque le début du déclin. Steven Moffat détient les clefs. Il est l’âme de Sherlock, celui qui doit interroger les limites de son système d’écriture à la fois virtuose et potentiellement étouffant – en cela, il ressemble à l’auteur d’A la Maison Blanche, Aaron Sorkin, dans un style radicalement différent.
Coup de fouet et d’une identité nouvelle
Surtout, il doit comprendre ce qu’il attend désormais vraiment de son héros, dont l’ambiguïté (misogyne ou féministe, comme pourrait le laisser croire cet épisode ; misanthrope ou mélancolique…) pourrait au fil du temps devenir caricaturale. Sherlock a besoin d’un coup de fouet et d’une identité nouvelle. La quatrième saison, dont le tournage est annoncé pour le printemps, donnera quelques éléments de réponse… mais pas avant un an. Olivier Joyard
Sherlock – The Abominable Bride diffusion au printemps (France 4). Les trois premières saisons sont disponibles sur Netflix jusqu’au 31 janvier
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