Le festival lillois a débuté vendredi, avec une appétence pour les séries à grand sujet et les points de vue marqués par la diversité. Le tout, loin d’Hollywood.
Depuis 2010 à Paris et 2018 à Lille, Séries Mania met en scène chaque année la profusion des séries contemporaines dans ce qu’elles ont de moins américain. Une manière de voir autrefois réservée aux grands festivals de cinéma, quand les points de vue les plus variés ont droit de cité dans une programmation où Taiwan existe autant que l’Australie, l’Angleterre, l’Allemagne, la France ou la Grèce.
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Hors du prisme d’Hollywood
La première moitié du festival vient de le confirmer, avec comme seule série hollywoodienne Le Problème à 3 corps (en ouverture, vendredi dernier) et une idée de la fiction comme pur miroir des luttes et tendances sociétales globales. On a vu notamment une réflexion sur l’intelligence artificielle à travers la célèbre revanche qui a opposé en 1997 Gary Kasparov à l’ordinateur d’IBM Deep Blue dans Rematch (compétition), intéressante série internationale – entre France, Hongrie, Canada et plus si affinités – initiée par Arte, qui se saisit en creux des thématiques actuelles de lutte et de rapprochement simultanés entre l’homme et la machine.
Toujours en compétition, l’Anglaise Boarders revisite de façon assez drôle, mais plutôt prévisible la question du privilège blanc et des discriminations à travers l’irruption d’étudiant·es racisé·es bénéficiant de bourses dans un pensionnat privé ultra-chic. L’Australienne House of Gods travaille quant à elle le drame familial classique à travers une communauté musulmane australienne, pour toucher cette fois au sujet peu abordé en fiction des luttes internes aux religions. L’élection d’un nouvel Imam dans une mosquée en lien avec l’Irak provoque des remous entre progressistes et conservateur·ices, et l’implosion potentielle d’une structure patriarcale. Captivant, parfois, mais aussi un peu routinier, au sens où la forme n’est habitée par aucune vision particulière des corps, des paysages, des couleurs. C’est parfois un prix à payer pour voir des séries qui s’emparent de grands sujets en 2024 : elles oublient de faire corps avec le monde, pour ne regarder que la société.
La distinction plus ou moins nette entre fiction et réalité se trouve au cœur du travail de Jean-Xavier de Lestrade, inventeur du docu-série moderne avec Soupçons dans les années 2000, passé depuis aux séries imprégnées par le réel et les faits divers, comme Sambre, carton de l’automne dernier. Venu évoquer son travail lors d’une masterclass, il a expliqué : “En tournant des documentaires, mon ambition était de mettre le plus de fiction possible dans le documentaire. Aujourd’hui, j’ai l’obsession inverse : mettre beaucoup de documentaire dans la fiction.”
Série française, nos favorites et le panorama international
La série française la plus attendue du début de festival se posait elle aussi la question. Dans l’ombre (compétition), tirée du livre de Gilles Boyer et Édouard Philippe et réalisée pour France 2 par Pierre Schoeller (L’Exercice de l’État), prend un parti pris fictionnel très net – celui d’un soap opera de luxe – en montrant un candidat à la primaire de droite et les déchirements internes inhérents à la lutte pour le pouvoir. Pas du tout désagréable, grâce à la stylisation élégante de la mise en scène de Schoeller et aux acteur·ices – Melvil Poupaud, Karin Viard et surtout Swan Arlaud, que l’on revoit avec plaisir après Anatomie d’une chute –, la série montre aussi des limites dans le flou qu’elle entretient avec l’idée d’une certaine réalité politique française. Située entre 2024 et 2025, donc légèrement en avance sur ce que nous vivons, Dans l’ombre choisit malgré tout d’inventer une histoire parallèle où il est question de plusieurs années d’un pouvoir socialiste et écologiste dont les candidat·es voudraient se débarrasser. On n’était pas au courant.
Nos séries préférées (dont nous avons déjà parlé ici et ici) ont été celles qui s’autorisent à jouir dans leur façon de délirer le réel, que ce soit la très belle et mélancolique Le Monde n’existe pas d’Erwan Le Duc (compétition française), où un journaliste revient sur les fantômes de son passé, ou dans la foisonnante série espagnole La Mesías (panorama international) de Javier Ambrossi et Javier Calvo, qui raconte, sur quatre décennies, une mère abusive et des enfants maltraités par une secte, dans un style baroque qui donne très envie de voir la suite.
Dans une veine tout aussi explosive, ces premiers jours lillois ont permis la découverte d’une belle série allemande, 30 Days of Lust (panorama international), où un couple de néo-trentenaires se donne le droit d’expérimenter sexuellement l’un·e sans l’autre pendant un mois. Le pitch n’est pas d’une folle originalité, mais le traitement, proche des sensations physiques des personnages et souvent assez cru, révèle une vraie touche d’artiste chez Bartosz Grudziecki (réalisateur et créateur) et Pia Hellenthal (co-scénariste et réalisatrice). Qui n’a pas vu la séquence de rêve érotique de l’héroïne impliquant un escargot visqueux n’a rien vu.
Festival Séries Mania, du 15 au 22 mars 2024, à Lille et sur www.seriesmania.com.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 20 mars 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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