La manifestation lilloise a récompensé des séries ultra personnelles, secouées par l’Histoire.
Deux ans et demi après la dernière édition pré-Covid, le retour de Séries Mania a accentué le sentiment du retour à une vie normale, quoique masquée, tout en dessinant un monde d’après sensiblement différent du précédent, en tout cas dans nos géographies sérielles. Une différence qui reste en accord avec l’histoire du festival, occupé depuis plus d’une décennie à mettre en avant les productions hors Amérique. Cette année, la tendance était encore plus forte et se doublait d’une autre (semi) absence, celle des Anglais·es apparemment peu enclin·es s à traverser la Manche, post Brexit. Ce qui a donné l’occasion de voir à quoi ressemblerait l’amour des séries sans ses deux piliers.
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Le palmarès, révélé jeudi soir, a forcément renforcé cette impression. Côté français (avec un Jury de journalistes internationaux), la sympathique Jeune et Golri d’Agnès Hurstel (OCS) a raflé la mise, pour sa relecture assez fraîche de la comédie féminine telle qu’on peut la croiser sur les écrans internationaux depuis au moins une décennie. À partir d’un personnage de trentenaire immature confrontée à un nouveau statut de belle-mère d’une gosse tyrannique, la série aligne les punchlines, sans toujours complètement convaincre sur la durée.
Ariane Labed, héroïne mélancolique et habitée de L’Opéra (OCS) a, quant à elle, largement mérité son prix d’interprétation. On peut regretter malgré tout l’absence de récompense pour la bombe d’originalité signée Valérie Donzelli, Nona et ses filles (Arte), sans doute moins facile à aimer, mais d’une profondeur inégalée, sur laquelle on reviendra longuement.
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La récompense d’un Prix spécial par le Jury du Panorama International (présidé par Florence Aubenas) pour la colombienne Vida de Colores a fait plaisir. La série raconte la quête d’un·e jeune non binaire dont la mère de substitution, une femme trans, est agressée. Autour d’une réflexion sur les possibilités du corps libéré (par la danse notamment) et restreint (par la haine), la création de David David a désormais toutes ses chances d’être acquise par une chaîne française. Les festivals servent aussi à défricher et révéler des objets moins mainstream que les propositions des plateformes. Voir Vida de Colores laissait imaginer un monde sans les règles narratives qu’elles imposent.
L’Histoire avec un grand H
Les prix principaux, attribués respectivement par le Jury Panorama et le Jury International (présidé par l’Israélien Hagai Levi, venu également teaser son excitante mini-série adaptée de Scènes de la vie Conjugale de Bergman), ont en quelque sorte parlé d’une seule voix, ce qui est assez rare pour être signalé. Avec un sens de la dérivation assez marqué et un humour à froid très efficace, la croate The Last Socialist Artefact (créée par Ankica Juric Tilic, réalisée par Dalibor Matanic) explore un duo masculin atypique qui tente de relancer une usine délaissée depuis des décennies dans un bled paumé des Balkans. L’affaire n’est évidemment pas simple pour ces oubliés de l’Histoire depuis la chute du mur de Berlin et la fin de l’ex-Yougoslavie, surtout quand un investisseur, féroce comme il se doit, leur met la pression. Quelques moments assez sidérants (comme les dix premières minutes du deuxième épisode) ponctuent cette plongée dans une réalité oubliée.
Le prix majeur de l’édition 2020, décerné par Hagai Levi et son jury, est allé à la série islandaise Blackport (coproduite par Arte), qui se concentre sur un petit port de pêche durant les années 1980 et 1990, alors que le gouvernement impose un quota de pêche qui remet en cause la vie locale et le travail des pêcheurs. Sondant le chaos provoqué par cette décision et les luttes des habitant·es et employé·es pour contourner l’offensive du libéralisme économique et de ses bras armés, la série s’impose comme une véritable saga au long cours.
Rendez-vous en 2022
Mais une saga avant tout bordélique, remplie de personnages excessifs. Le Président du Jury lui a trouvé une parenté avec Fargo des frères Coen, ce qui n’a rien d’absurde.
Loin des standards contemporains de l’addiction et des cliffhangers, les séries récompensées à Séries Mania ont exploré deux lieux isolés, deux bouts du monde abîmés par l’Histoire et l’argent. De quoi méditer avant la prochaine édition du festival lillois, qui devrait se tenir en mars 2022, juste avant l’élection présidentielle.
Le palmarès complet de Séries Mania 2021
Compétition Internationale
Grand Prix : Blackport (Islande)
Meilleure actrice : Marie Reuther dans Kamikaze (Danemark)
Meilleurs acteurs : Itamar Rotschild, Shmuel Vilozni, Orr Amrami dans Echo Of Your Voice (Israël)
Panorama International
Meilleure série : The Last Socialist Artefact (Croatie)
Prix spécial : Vida de Colores (Colombie)
Prix du Jury étudiant : We Are Lady Parts (Angleterre)
Compétition française
Meilleure série : Jeune et Golri (OCS)
Meilleure actrice : Ariane Labed dans L’Opéra (OCS)
Meilleur acteur : Daniel Njo Lobe dans Le Code (France 2)
Meilleure musique : Pierre Leroux pour Jeune et Golri (OCS)
Prix du public : Germinal (France 2)
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