Alors que la huitième édition de Séries Mania s’achève avec la remise des prix ce soir puis la reprise du palmarès demain, nous faisons le point sur les six première saisons de série qui nous ont le plus marqués parmi la très riche sélection proposée par le festival parisien.
Séries Mania affichait cette année encore des ambitions plus grandes que les éditions précédentes. Dans une sélection toujours plus riche et dense faite de près de 70 séries et web-séries, six d’entre elles nous ont particulièrement marqués. Outre une série d’anticipation et une série seventhies, nos choix se sont portés sur quatre séries reposant sur des personnages féminins forts et contemporains ; deux trentenaires au bord de la crise de nerf et deux femmes d’âge mur dont la vie est bouleversée par la rencontre d’un homme mystérieux. Quatre portraits de femme nécessaires, drôles, tragiques ou émouvants qui sont aussi l’affirmation de regards d’auteurs s’emparant chacune de thématiques féministes à leur façon.
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1. Fleabag de Phoebe Waller-Bridge
Véritable petit bijou de comédie indé produit par Amazon et diffusé sur la BBC l’an dernier, Fleabag nous plonge dans le quotidien d’une trentenaire londonienne prise entre problèmes de coeur, de sexe, de famille et d’argent. Ces thématiques très dunhamiennes revues à la sauce british sont servies par une mise en scène assez jubilatoire et audacieuse. Multipliant les adresses à la caméra, l’actrice principale et créatrice de la série, la pétillante Phoebe Waller-Bridge, met en place un véritable jeu de connivences avec le spectateur qui tombe rapidement sous le charme de son humour pince-sans-rire et de la folle expressivité de son visage. Entre une séance de masturbation devant un discours d’Obama et une séquence drague au rayon tampons du supermarché, Fleabag est aussi le portrait d’une jeune femme qui, malgré son apparente gaieté, ne parvient pas à faire le deuil de sa meilleure amie morte d’un faux suicide raté. Touchante, juste, féministe, rafraîchissante, piquante aussi et surtout très drôle, cette première saison composée de six épisodes de 30 minutes est une merveille. Vivement la seconde saison prévue pour 2018.
2. Apple Tree Yard de Louise Doughty
Lorsque qu’un homme dont elle ignore tout lui fait visiter de manière impromptue une crypte secrète, Yvonne, quinquagénaire mariée, mère de famille et analyste en génomique, voit sa libido se rallumer et se transformer en fougueuse passion pour cet homme mystérieux. Sous couvert de mauvais roman de gare (d’ailleurs la série est une adaptation du livre du même nom), Apple Tree Yard est habitée par un pur souffle romanesque racontant tout d’abord la résurgence du désir dans une vie bien réglée, avant qu’une tournure cauchemardesque ne tire la romance du côté du thriller domestique moralement plus complexe qu’il n’y parait. Servie par une Emily Watson absolument époustouflante, cette mini-série de la BBC composée de quatre épisodes d’une heure brille également par une réalisation des plus élégantes.
3. Downward Dog de Michael Killen et Samm Hodges
Tout comme Fleabag, Downward Dog s’attaque aux problèmes d’une trentenaire néo-célibataire et employée dans une agence de pub. Mais elle s’y attaque par un biais pour le moins original puisque le quotidien de cette jeune femme qui répond au nom de Nan nous est conté à travers les yeux et par la voix de Martin, son chien, véritable personnage principal de cette série américaine produite par ABC. Pendant que Martin traverse une série de crises existentielles et philosophe sur sa vie le nez plongé dans sa gamelle, Nan fait face à des problèmes plus triviaux d’ordre sentimentale ou liés à son emploi. Ce renversement de l’ordre naturel entre un être humain trivial et un animal domestique aux pensées bien plus profondes produit un effet humoristique assez réussi. Tendre et inventif, le comique de situation des 4 premiers épisodes de 35 minutes fait mouche.
4. Better Than Us d’Alexander Kessel
A Moscou dans un futur proche, les cyborgs sont partout ; auxiliaires de vie, aides de travail, esclaves sexuels… Georgy, un modeste médecin légiste, se retrouve malgré lui mêlé à une affaire de meurtre impliquant une cyborg au comportement anormal. Récit d’anticipation dans la lignée de Westworld ou Real Humans, cette série russe est une très bonne surprise. En plus d’un scénario efficace et d’une solide mise en scène, Better Than Us bénéficie d’effets spéciaux et d’une direction artistique assez admirables. La série fourmille de détails assez bien sentis sur l’emprise de la technologie comme des écrans incorporés au poignet des personnages ou comme la multiplication des drones dans l’espace urbain. Deux questions cependant demeurent ; la série parviendra-t-elle à maintenir la qualité des deux premiers épisodes de 52 minutes projetés à Séries Mania tout au long des 16 (!) épisodes prévus et, surtout, sera-t-elle diffusée en France ?
5. I’m dying up here de David Flebotte
Produite par Jim Carrey, cette série présentée en compétition officielle sera diffusée sur Showtime aux Etats-Unis et Canal + en France. Elle nous plonge dans le milieu du stand-up californien des années 70. Autour d’un club où se produisent les comiques en attendant d’être assez murs pour passer sur un plateau de télévision, les blagues fusent et une petite bande se forme. Contrairement à Vinyl dont l’addition année 70 plus milieu de la musique ne donnait pas grand chose, I’m dying up here est une vraie réussite. Moins grandiloquente et outrée que la série produite par Scorsese, elle fait le choix de se resserrer sur l’intimité de ce groupe d’êtres humains dont la passion consiste à faire rire les gens. Chacun à leur manière, les personnages de I’m dying up here sont empruntés de la figure fascinante du clown triste et borderline qu’incarnait déjà Jim Carrey dans Man of the Moon en 1999.
https://www.youtube.com/watch?v=6kye0QwGX9E
6. I Love Dick de Jill Soloway
La nouvelle série de la géniale créatrice de Transparent, Jill Soloway était très attendue du coté du Forum des Halles où elle était projetée en compétition officielle. Il faut dire que son titre est pour le moins évocateur. Adaptation du roman éponyme de Chris Kraus, I Love Dick nous emmène à Marfa, une petite ville du Texas où Chris et Sylvere, un couple de quadragénaires, ont déménagé. Ils vont faire la connaissance de Dick, sorte de cowboy arty local. Chris (Kathryn Hahn – absolument parfaite en monomaniaque tourmentée) va rapidement développer une obsession sans limite pour Dick (Kevin Bacon – sublime en playboy ténébreux), obsession qui va mettre son mariage à rude épreuve et qu’elle va transcender en un acte de création artistique.
I Love Dick est à la fois une comédie à l’humour parfois assez potache et un essai cinématographique qui théorise l’utilisation de la caméra comme expression du désir féminin dirigé vers un corps masculin (ce female gaze, analysé par les gender studies). Faite d’audaces formelles comme de gros intertitres à la Godard ou d’extraits d’autres films (notamment de Chantal Akerman) insérés dans la narration, cette série produite par Amazon est un ovni dans le paysage télévisuel contemporain. Moins tournée vers l’émotion que Transparent mais plus théoriquement féministe, expérimentale dans sa manière et férocement humoristique dans son expression, I Love Dick affirme un peu plus l’immense talent et la personnalité artistique hors-norme de sa créatrice.
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