Depuis cinq ou six ans, la télé française tente de combler son retard sur la série US. Producteurs, auteurs et réalisateurs : les personnalités clés de cette aventure dressent un état des lieux.
Alors que Signature est diffusée depuis la semaine dernière sur la même chaîne, Hervé Hadmar demande de la patience.
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« J’ai lu un entretien où le nouveau directeur général de France 2 (Claude-Yves Robin – ndlr) expliquait qu’il fallait accepter de perdre six mois. Je pense que c’est plutôt deux ans qu’il faut accepter de perdre. Le public est forcément déstabilisé, il n’a pas l’habitude de voir des séries françaises différentes. »
Simon Abkarian décoche sa flèche : « On doit se désintoxiquer collectivement. » En attendant que s’installe la culture du risque de chaque côté de l’écran, « prendre le tournant des séries est inéluctable car l’enjeu est énorme », note Anargyros, dont la maison de production, Cipango, a été rachetée par Europacorp (Luc Besson), preuve que le marché reste très attractif.
Ancien de M6, Anargyros développe et produit pléthore de projets parfois en anglais (comme XIII, diffusée en ce moment sur Canal+). Il n’est pas le seul : Stéphane Meunier (Ma terminale, Fortunes) prépare pour France 2 Phoenix, en collaboration avec l’Australie, tandis qu’Arte monte plusieurs projets à échelle européenne ou avec le Canada (Heretics, Babylone). La coproduction avec l’étranger, solution pour désenclaver la fiction française ? « La nécessité d’ouverture est fondamentale pour apprendre », estime Meunier. Fabrice de la Patellière éclaire les enjeux :
« Quand un épisode de série française coûte un million d’euros, celui d’une série internationale atteint deux millions et nous pouvons alors rivaliser avec les grosses productions mondiales. Mais ça ne remplacera pas la fiction française, que l’on poursuit plus que jamais. »
Les auteurs, trop lents ?
Dans les mois à venir, une comédie signée Eric Judor (Platane) va côtoyer sur les antennes de la chaîne cryptée une très chère série de prestige tournée à Prague et en anglais (Borgia) avec, aux manettes, le créateur de la mythique Oz, Tom Fontana.
« Ce qu’on appelle aujourd’hui la grande crise de la fiction française nous paraît un peu abstrait à Canal+, reprend de la Patellière. Non pas que tout soit parfait chez nous, mais cela fait longtemps qu’on essaie de trouver une alternative. Là où nous sommes concernés, c’est qu’on a dépassé l’alternative méchants diffuseurs contre gentils auteurs. Ce n’est pas si simple. Au fil des années, on a bien compris, tous ensemble, à quel point il est difficile de faire des choses audacieuses et magnifiques. Sur le rythme de diffusion, par exemple, nous recherchons la qualité davantage que le volume. Nous produisons environ huit épisodes tous les dix-huit mois de nos fictions en français. Le temps entre les saisons est trop long, il faudrait pouvoir en faire douze par an. Mais là, un autre problème se pose. Si les auteurs anglo-saxons arrivent à écrire vite, les Français ont du mal. Il y a parfois une irrégularité due à un manque de formation. Je ne remets pas en cause le talent des scénaristes français, mais les Anglo-Saxons ont peut-être plus de métier sur la maîtrise du format série. »
A cet argument, les premiers concernés répondront qu’on ne leur laisse pas suffisamment leur chance. A quand un véritable dialogue ? Personne en France ne peut prétendre connaître la formule magique. Partout, le malaise le dispute à l’espoir.
« Faire Les Soprano nous semble encore loin, pointe Hervé Hadmar. Pourtant, aux USA, c’était il y a plus de dix ans ! Une industrie permettrat-elle un jour à une vingtaine d’auteurs de s’épanouir pour éventuellement y parvenir ? Une génération a envie de tout réinventer, elle doit pouvoir tenter le coup. »
Cette génération, ce sont par exemple les dizaines d’apprentis créateurs, certains issus d’écoles de cinéma comme la Fémis, qui envoient leurs projets aux producteurs et aux chaînes. Leur défi ? Apprivoiser le récit sériel contemporain et inventer les héros français modernes. Leur horizon fantasmatique ? Réussir à faire leur première série comme d’autres, avant eux, rêvaient d’un premier film. Le compte à rebours est lancé.
Au récent Mipcom, à Cannes, le ministre de la Culture a décrété la patrie en danger. « La situation de déséquilibre en faveur de la fiction américaine (…) nous invite à l’action. » Un rapport incisif du CNC, remis à Frédéric Mitterrand par Pierre Chevalier, Sylvie Pialat et Franck Philippon, a notamment proposé de repenser la rémunération des auteurs, en mettant l’accent sur le développement. Cathy Verney applaudit : « En France, les scénaristes devraient aussi être payés pour réfléchir, pas seulement pour produire du papier. » Bonne idée.
En recherche d’identité
L’enjeu, au fond, est culturel. Hormis un âge d’or quadragénaire, la série française n’a pas d’identité. Elle bloque sur des évidences, à l’image du manque de réflexion autour de la place du réalisateur, souvent considéré (et contre toute logique) comme une force créative supérieure au scénariste. Elle patauge, « engoncée dans le patrimonial et le sociétal », comme le regrette François Sauvagnargues (Arte). « La situation est rageante dans un pays où Balzac a popularisé le feuilleton littéraire au XIXe siècle », explique Thomas Anargyros. « Tout reste à inventer », insiste Cathy Verney.
« C’est ce que je trouve excitant », reprend Caroline Benjo, productrice de cinéma d’auteur (Palme d’or avec Entre les murs), décidée à ne pas laisser passer le train.
« Avec Xanadu, nous avons fait preuve de candeur. Notre projet ne correspondait à aucune demande des chaînes. Nous n’avons pas travaillé avec un groupe d’écriture ou un showrunner (scénariste/producteur en charge de l’ensemble des aspects créatifs d’une série – ndlr), mais en insistant sur le couple scénariste/réalisateur. C’est la solution que nous avons trouvée. Au cinéma, le champ des possibles est menacé. A la télévision, en revanche, nous sommes à l’aube de quelque chose qui ressemble à l’effervescence créative du cinéma d’auteur il y a quinze ans. C’est une nouvelle jeunesse. »
Olivier Joyard
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