Depuis cinq ou six ans, la télé française tente de combler son retard sur la série US. Producteurs, auteurs et réalisateurs : les personnalités clés de cette aventure dressent un état des lieux.
« Comment faire pour que les 15-35 ans ne partent pas dans un éclat de rire quand on leur dit ‘série française’ ? Nous les premiers, on ne les regarde pas. Pourquoi n’a-t-on pas envie ? »
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Hervé Hadmar a beau être l’heureux auteur de Pigalle, la nuit, un exemple de télé made in France au-dessus de la moyenne, sa lucidité le force à un constat violent. Comment y croire, en effet ? Comment éviter que surgisse Joséphine, ange gardien quand on associe les mots « série » et « française » ? Cette question hante le microcosme depuis que Lost, Dr House et autres Breaking Bad ont envahi la sphère culturelle et le prime time, écrasant les créations maison – Plus belle la vie ou Section de recherches exceptées, CQFD.
Longtemps, aucune réponse concrète n’est venue de la part des intéressés, si ce n’est un concert d’atermoiements. Bouh, on n’y arrive pas ! Ce printemps 2011 annonce un frémissement. Rassurons les sceptiques : le Mad Men hexagonal n’est pas encore né. Mais plusieurs séries tentant de marcher en dehors des clous ont été (ou vont être) diffusées.
Elles ressemblent « soit à des hasards, soit à des accidents », comme l’explique le producteur Thomas Anargyros (Les Bleus). Aucune n’est complètement réussie mais toutes se posent les bonnes questions.
La liste ? Deux polars atypiques sur France 2 (Les Beaux Mecs et Signature). Un drame extrême dans le monde du porno et une comédie sociale contemporaine sur Arte (Xanadu et Fortunes). La deuxième saison de la comédie Hard arrive, elle, le 30 mai sur Canal+, seule chaîne historiquement ambitieuse (Engrenages a été créée en 2005). Dans un passé récent, la rigolote Fais pas ci, fais pas ça (France 2, depuis 2007) ou dans une moindre mesure Un village français (France 3, depuis 2009) avaient fait parler d’elles. Simon Abkarian, acteur emblématique dans Pigalle, la nuit, Les Beaux Mecs et bientôt Kaboul Kitchen, résume l’affaire :
« Les Beaux Mecs, c’est pas Commissaire Moulin. Ni Navarro. Ça, c’est plus possible. Tout le monde le sent, personne ne le dit. Moi, je m’en fous, je le dis : il faut arrêter de monter des projets imbitables à la télé française. »
Le retard français
La prise de conscience collective a eu lieu chez certains auteurs, acteurs, réalisateurs, producteurs et diffuseurs. Une génération nourrie aux séries anglo-saxonnes, souhaitant une remise en question radicale. Le but : faire naître des séries sexy, en phase avec un mouvement mondial (au-delà des Etats-Unis, le Danemark, Israël, l’Australie ou évidemment l’Angleterre ont entrepris leur révolution) et « qui parlent enfin du pays dans lequel on vit », comme le souligne le créateur de Fortunes, Stéphane Meunier.
« Il y a en ce moment une nouvelle effervescence, explique la scénariste des Beaux Mecs et d’Engrenages, Virginie Brac. En même temps, nous en sommes encore à définir timidement les sujets que nous pouvons aborder. L’humilité s’impose quand on entame si longtemps après les autres le vrai défi de toute fiction : parler au spectateur de lui-même. »
Thématique, esthétique, culturel, le retard français est réel. « Au milieu des années 2000, Clara Sheller et Engrenages ont ouvert la voie, notent Caroline Benjo et Jimmy Desmarais (de la société de production Haut et court), producteurs de Xanadu. Ces séries ont fait naître une interrogation : comment des fictions télé qui cassent la narration formatée parviennent à nous accrocher ? Reste encore à y répondre. Et à inventer une méthode. »
« On pourrait presque dire que personne ne sait faire de série en France »
Trouver une manière de fabriquer de « vraies » séries en France semble un projet minimal. C’est pourtant le défi de tous ceux qui s’y frottent. Le jeune producteur Bruno Nahon (Zadig Productions) supervise le tournage de la saison 1 de Ministères (huit épisodes sur la formation de futurs prêtres pour Arte), quatre ans après en avoir eu l’idée. « On pourrait presque dire que personne ne sait faire de série en France, au sens où nous sommes dans une culture du prototype. Tu passes des années sur un projet et, comme un chercheur, tu en découvres peu à peu l’ADN. Pour moi, de l’écriture au tournage, tout est découverte. » Directeur de la fiction d’Arte, François Sauvagnargues abonde.
« Fabriquer une série moderne s’apparente à un plongeon dans l’inconnu. La chimie est complexe. C’est ce qui nous travaille et nous angoisse. Alors, on tente des choses, même si la référence à la fiction US fâche en termes de maîtrise et de savoir-faire. »
L’horizon américain reste ce que chacun, et d’abord le spectateur, garde en tête. « Mais je préfère regarder vers l’Angleterre, plus proche en termes de production et de moyens », prévient Hervé Hadmar. « Par rapport aux séries américaines, il y a un deuil à faire, poursuit Bruno Nahon. Chercher la comparaison, c’est se préparer à souffrir. Tout sera ‘moins’ : l’écriture, le jeu, le stylisme, la direction artistique, le rythme, le montage. »
Inventer la nouvelle série française, c’est donc « accepter de ne pas reproduire un modèle », conclut Caroline Benjo. Oublier par exemple la perspective de tourner des pilotes (premier épisode d’essai donnant lieu ou non à une suite). Cette étape essentielle à la réussite des séries américaines reste « inaccessible financièrement », même pour Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction à Canal+.
Au cimetière, pour la même raison, la possibilité pourtant vitale d’écrire les séries au fur et à mesure qu’elles se tournent – soaps mis à part. » Les Américains gèrent leurs forces et faiblesses en cours de saison. Ici, on tourne une saison entière avant de pouvoir procéder à des ajustements », analyse Jimmy Desmarais. Si une ligne narrative s’incarne mal au tournage, une série française doit faire avec. Dur.
La nécessité financière de tourner plusieurs épisodes en même temps (le crossboarding) est-elle seule en cause ? A la tête de Hard, qu’elle écrit et réalise presque seule, Cathy Verney aimerait faire sauter des verrous.
« Notre liberté thématique est plus qu’appréciable. Mais les scénarios de tous les épisodes d’une saison doivent être validés avant éventuellement de se lancer dans le tournage. C’est très figé. Au dernier festival de Deauville, quelques scénaristes français dont je faisais partie ont été invités à discuter avec des créateurs américains. Quand j’ai expliqué notre méthode à David Chase (créateur des Soprano – ndlr), il a apostrophé les types de Damages comme s’il avait une blague à leur raconter ! Pour moi, le problème français, au-delà des moyens, se joue aussi dans le manque de confiance des chaînes. »
Les chaînes, trop frileuses ?
L’accusé semble désigné. « La fiction française ressemble à ce que les chaînes et les responsables de la fiction commandent », assène Thomas Anargyros. Alors que TF1 semble hors course en termes créatifs, seuls trois ou quatre diffuseurs, dont un service public en reconstruction (euphémisme), paraissent capables de faire exister des projets originaux.
Leur capacité à prendre des risques devient cruciale, leur persévérance aussi, surtout quand les tentatives se soldent par des échecs d’audience (comme Les Beaux Mecs sur France 2 récemment).
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