Une jeune femme et ses clones égarés dans la jungle de l’identité: c’est « Orphan Black ».
« Il me manque une chose : moi-même. » Avec cette phrase férocement contemporaine, poétique et mystérieuse, l’héroïne d’Orphan Black lance les hostilités avec une certaine classe. Elle s’appelle Sarah. Un jour d’ennui comme les autres, cette brune de presque 30 ans a été le témoin d’une scène tristement banale. Une jeune femme s’est jetée sous un train de banlieue à New York, alors que Sarah se trouvait sur le quai, à quelques mètres de là. Escroc à la petite semaine, petite amie d’un dealer, Sarah a eu le réflexe immédiat et un peu fou de s’enfuir avec le sac de la suicidée. Bientôt, elle lui volera son identité et se rendra compte que le hasard n’a pas grand-chose à faire dans le cirque qu’est devenue sa vie depuis cet événement morbide.
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La morte était flic. Sarah a le même âge qu’elle et lui ressemble beaucoup. Comme deux gouttes d’eau. Deux soeurs jumelles. Voire… deux clones. A partir de ce twist initial, le contrat de croyance proposé par Orphan Black réjouit l’imagination. Sans plus de cérémonial, il nous est demandé d’entrer dans la vie agitée d’un personnage forcé de composer avec plusieurs versions d’elle-même, au coeur d’une intrigue où se mêlent thriller d’anticipation, mélodrame et science-fiction.
Mère d’une petite fille qu’elle n’a plus le droit de voir pour cause de problèmes avec la justice, Sarah (Tatiana Maslany, ébouriffante, jouant jusqu’à cinq rôles par épisode) a été adoptée. Son seul confident, Felix, est le garçon avec qui elle a été élevée en famille d’accueil. Elle découvre quelques semaines après avoir usurpé l’identité de la policière morte que d’autres femmes lui ressemblent un peu trop. Sarah a fait partie d’un programme de clonage expérimental aujourd’hui abandonné. Une organisation secrète a pour but de les décimer, elle et ses copines clones, parmi lesquelles une geekette mémorable et une mère au foyer fan de football, excellente tireuse au pistolet.
La pure comédie en moins, l’argument d’Orphan Black se rapproche de celui d’un film de Harold Ramis avec Michael Keaton sorti en 1996 – Mes doubles, ma femme et moi -, qui faisait joyeusement le point sur plus d’un siècle de littérature et de cinéma consacré à la figure du döppelganger et aux troubles de l’identité afférents.
Par chance, la création de Graeme Manson et John Fawcett (initialement diffusée sur BBC America) attaque la montagne par le biais le moins prétentieux qui soit. Avec son sens aigu de la vitesse, sa sécheresse, sa recherche constante de la ligne droite, Orphan Black relève le plus souvent de la série B. L’expression n’a rien de péjoratif : elle a été inventée pour qualifier certains films de studio des années 40/50 (comme Les Amants de la nuit de Nicholas Ray) produits à Hollywood dans une économie moins flamboyante que les grands films de série A, mais surtout pas moins inventifs…
Orphan Black s’inscrit aussi dans la droite ligne d’une tendance narrative puissante depuis une dizaine d’années dans le monde des séries télé, celle des personnages à identités fluctuantes. Ces derniers mois, la passionnante série The Americans, avec ses agents doubles américano-soviétiques, a confirmé que la multiplicité était un motif sériel majeur. Plus les héros parviennent à déployer des facettes nombreuses et contradictoires, plus ils passionnent au fil du temps.
Sans être forcément un chef-d’oeuvre, Orphan Black est aussi adulte dans ses thèmes que fun dans son exécution. Fluctuante et imprévisible, la série possède plusieurs visages, comme son héroïne barrée. La découvrir aujourd’hui devrait lancer l’été sur de bonnes bases.
Orphan Black créée par John Fawcett et Graeme Manson, avec Tatiana Maslany
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