On aurait pu penser que l’assomption en cours des séries dans les sphères de la haute culture, leur progressif adoubement par toutes les instances de légitimation culturelle, n’allaient pas reproduire les mêmes stéréotypes de goûts que ceux de la sphère cinéma. Ce n’est pas tout à fait le cas. Bien au contraire, des résonances troublantes se mettent en place et une même idéologie du goût, déterminée en toute logique par l’époque, traverse les deux champs.
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Pour aller vite, entre les séries les plus encensées par la critique spécialisée (ou primées aux Golden Globes) et les films plébiscités à Cannes (ou primés aux Golden Globes), quelque chose résonne ; des visions du monde (univoquement sombres) s’apparentent ; un même rigorisme formel (un peu outré) se fait jour. Il y a du Haneke – en premier lieu bien sûr celui du Ruban blanc – dans la fable pesante The Handmaid’s Tale, et son écriture fondée sur la tautologie (pour dire la puissance oppressive d’une dictature, tous les cadrages seront au cordeau).
https://youtu.be/PJTonrzXTJs
Il y a de l’agressivité sarcastique pénible de The Square dans les dystopies critiques lourdingues de Black Mirror. Les académismes d’époque sont absolument frontaliers, ne négligent aucun champ.
https://youtu.be/sv7HDXV6Yjk
La saison 4 de Black Mirror est vraiment un sommet de sadisme punitif à l’encontre de ses personnages. Le premier épisode campe un développeur de jeux vidéo qui, humilié dans son travail, se venge de ses collègues dans un monde virtuel qu’il a conçu – une sorte de Second Life dont il est le tyran.
https://youtu.be/5ELQ6u_5YYM
Avec un acharnement insensé, le scénario flanque une raclée à ce bourreau virtuel dans l’insouciance absolue de son statut de victime dans le réel. Le dernier épisode est plus inconséquent encore dans la gestion morale du sort infligé à ses protagonistes. Là encore, la loi du talion et les ressorts du vigilante le plus régressif prévalent sur toute autre forme de résolution des conflits.
A la désinvolture ricanante des jeux de massacre de Black Mirror, on opposera la fine horlogerie morale d’une autre série anglaise, autrement plus stimulante : The End of the F***ing World. La mise en place accumule pourtant les pénalités : évidemment, l’apprenti psychopathe obsédé par le désir de meurtre va tuer un criminel bien plus psychopathe que lui.
https://youtu.be/I0B6a38unHg
Mais, justement, tout le récit, par un jeu très subtil de balancier, où chaque geste pèse son poids de conséquences, va travailler à assigner à chaque choix de ses personnages une responsabilité. On redoutait la farce macabre avec son lot de violence fun et on est submergé par un alliage complexe de pessimisme lucide et de romantisme brûlant tout droit issu de Nicholas Ray.
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